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« La Grèce conquise a conquis son vainqueur sauvage ; elle a fait régner l’art dans l’agreste Latium. »


La simplicité puritaine de Caton et des républicains austères s’alarmait de voir la mollesse et le luxe s’introduire à Rome à la suite de l’art ; ils vantaient la rudesse patriarcale des ancêtres pour piquer d’honneur leurs descendans. Les satiriques à leur tour, pour mieux fronder la corruption de l’empire, exaltaient les vertus de la vieille Rome, et chantaient la cabane de Romulus, couverte de chaume, et la vaisselle noire du bon Numa. Ainsi s’est formée dès l’antiquité une opinion fausse qui calomnie le génie latin, et contre laquelle la science peut déjà protester. Les Romains, au lieu de proclamer l’Étrurie la mère de leur civilisation, ont fait disparaître les annales et la langue des Étrusques ; ils auraient détruit volontiers jusqu’au souvenir de voisins auxquels ils devaient trop pour ne pas se montrer ingrats. La Grèce était loin, elle était asservie ; il leur coûtait peu de tout rapporter à la Grèce. Il est juste aussi de tenir compte de l’engoûment produit par l’admiration des chefs-d’œuvre grecs, par la nouveauté, par la mode qui faisait rejeter avec dédain les ouvrages anciens, de même qu’on rougissait de la grossièreté du moyen âge sous Louis XIV.

Les modernes ont cru un peuple orgueilleux qui s’accusait par de tels aveux. L’esprit humain aime ce qui est tranché, absolu, facile à classer. L’histoire de l’art devenait en effet bien simple : « l’art romain n’avait pas existé avant la conquête de la Grèce ; après la conquête, il se confondait avec l’art grec. »

Je voudrais, dans un tableau rapide, montrer combien les faits s’accordent peu avec l’opinion reçue. L’art romain existait, il s’était constitué, il avait son caractère propre, il s’était dégagé du caractère étrusque, il avait produit des œuvres considérables avant que la Grèce fût soumise, avant qu’elle fût ouverte. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un coup d’œil, d’abord sur l’époque des rois, ensuite sur les trois premiers siècles de la république.


I

Dès que Rome est fondée et qu’elle se construit, l’influence des Étrusques y est sensible, bientôt persistante, enfin exclusive.

Romulus, cette personnification des efforts et des luttes d’une ville naissante, représente une période indéterminée ; mais déjà la tradition rattache la civilisation romaine à la civilisation étrusque : elles n’étaient séparées en effet que par la largeur du Tibre. Dans le récit de la fondation de Rome, on reconnaît la discipline religieuse