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ans, la colonie, gouvernée souverainement par les Stephanopoli, jouit d’une remarquable prospérité, et excita bientôt la jalousie des insulaires. Ceux-ci, lorsqu’ils s’insurgèrent contre la république de Gênes (1729), se jetèrent en masse sur les domaines des Grecs et les ravagèrent. Les Grecs cherchèrent un refuge à Ajaccio, où leur chef, Jean VI Stephanopoli, organisa un bataillon de trois cents hommes avec lesquels il accomplit en faveur de la république de Gênes des faits d’armes qui ont fait de lui le héros des traditions historiques de la colonie. Un jour entre autres, le gouverneur d’Ajaccio confia aux Maïnotes la périlleuse mission de dégager de poste de Génois cerné par les rebelles dans le fort de Corte, près de Bastia. Aussitôt Jean Stephanopoli réunit toute la colonie sur la place publique, annonce l’expédition, en explique les terribles dangers, et ordonne aux prêtres de dire les prières des morts pour ceux qui vont combattre. Un autel tendu de noir est dressé en plein air, et les trois cents guerriers, rangés en bataille et en armes, assistent avec une mâle et religieuse émotion à la cérémonie de leurs funérailles anticipées. Ils partent ensuite, pénètrent jusqu’à Corte après des prodiges de valeur, et reviennent décimés, mais couverts de gloire. Lorsque la Corse fut cédée à la France, sous le règne de Louis XV, les Grecs contribuèrent puissamment à la soumission de l’île. Après la pacification du pays, ils obtinrent de nouvelles concessions de terre à Cargèse, déposèrent les armes, et s’adonnèrent de nouveau à l’agriculture et au commerce avec le même succès qu’à Paomia[1]. Cette colonie subsiste et prospère encore avec ses traditions, dont elle est justement fière, sa langue, ses coutumes, ses prêtres et les cérémonies religieuses particulières au rite oriental, enfin avec tous les caractères de son antique nationalité.

Tandis que les Comnènes s’éloignaient du Magne, l’anarchie la plus complète s’emparait du pays. Le Bas-Magne, qui s’étend de Vitulo à l’extrémité du cap Ténare, était alors, comme aujourd’hui, en proie à une sorte de barbarie, et formait le domaine des redoutables Mavromichalis. Le Haut-Magne était divisé entre sept seigneurs

  1. Les Stephanopoli continuèrent à gouverner la colonie avec le titre de chefs privilégiés des Grecs et à jouir de toutes les prérogatives de la souveraineté. Ils avaient seuls le droit de porter sur leurs vêtemens certaines couleurs telles que l’écarlate et le violet ; le clergé les recevait à la porte de l’église avec la croix et l’encens, et le jour de Pâques la colonie leur offrait le gâteau appelé vloyia. La haute noblesse et les droits des Stephanopoli Comnène, comme descendans directs et authentiques des empereurs de Byzance et de Trébizonde, furent officiellement reconnus par lettres patentes du roi Louis XVI, en date du mois de juin 1778. Il existe encore aujourd’hui plusieurs membres de l’antique famille des Comnènes. Il est à remarquer que tous les Grecs de Cargèse ajoutent à leur nom de famille le nom de Stephanopoli, pour témoigner qu’ils descendent des anciens partisans des Comnènes.