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sincère d’entrer au couvent pour y pleurer sa légèreté et la mort de son amant. Saint-Evremond, chargé de faire les adieux d’Hortense à ce monde qu’elle avait tant aimé, écrivit les vers suivans, qui ne manquent pas d’une certaine grâce :

Je vous dégage, amans, des lois de mon empire.
Pour des objets nouveaux si votre cœur soupire,
Je ne me plaindrai pas d’une infidélité.
J’aimerais mieux pourtant…, que les femmes sont vaines !
J’aimerais mieux vous voir, au sortir de mes chaînes,
Jouir paisiblement de votre liberté.


Puis dans la dernière strophe, comme c’est Saint-Évremond qui parle par la bouche de cette belle pénitente, il se fait adresser au ciel ce rendez-vous qu’il n’a pu obtenir sur la terre. Hortense, devenue Béatrix, veut arracher son poète au monde où elle n’est plus. « Quittez la cour, lui dit-elle ; la religion, la raison, tout vous en fait un devoir :

Le ciel est impuissant, et la raison timide
Sur vos durs sentimens trop faiblement préside ;
Mais vous devez encor reconnaître ma loi.
Retirez-vous, vieillard, c’est moi qui vous l’ordonne.
Voici l’ordre dernier qu’en reine je vous donne :
Vieillard, quittez le monde en même temps que moi.


Ce ne fut point dans un couvent cependant, c’est à Chelsea qu’elle mourut à l’âge de cinquante-deux ans, et, s’il faut en croire ses contemporains, dans tout l’éclat de sa victorieuse beauté. Il est difficile de prononcer sur elle un jugement définitif. Dans le cours du procès qu’elle soutint contre son mari, elle ne s’étonna point de gagner sa cause devant la chambre des requêtes, où se trouvaient des jeunes gens, ni de la perdre devant la grand’chambre, où siégeaient seulement les vieux conseillers.

Quand la mort d’Hortense Mancini eut rendu éternelle pour Saint-Évremond cette éclipse dont il se plaignait pour peu qu’elle quittât Londres un seul jour, la tristesse, un instant secouée, s’abattit sur lui, plus épaisse et plus lourde. C’est un spectacle affligeant que celui de ces dernières années, remplies seulement par les regrets du passé, ou par les plaisirs matériels. « Il n’y a pas un mot de votre lettre qui ne m’ait fait plaisir, écrit-il à mylord Montagu, excepté ceux qui m’assurent que vous mangez des truffes tous les jours. Je n’ai pu m’empêcher de pleurer quand j’ai pensé que j’en mangeais avec Mme Mazarin. Je me la suis représentée avec tous ses charmes. Je ne puis continuer ce discours sans douleur, il le faut finir. » C’est à table cependant, bien que ces images l’y pour-