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peut-être plus amoureux, il ne peut se résoudre à la retraite et se décide à jouer. Cette résignation ne touche pas le cœur d’Hortense. Nous le voyons par les lettres qu’il lui écrit le lendemain de ces sortes de scènes : « Que puis-je faire ? Si je perds, je suis une dupe ; si je gagne, un trompeur ; si je quitte, un brutal… Si je parle, je m’explique mal ; si je me tais, j’ai une pensée malicieuse. Si je refuse de disputer, ignorance ; si je dispute, opiniâtreté ou mauvaise foi. Que la raison règle mes sentimens, on dit que je n’aime rien, et qu’il n’y eut jamais indifférence pareille à la mienne. » Ces brusqueries de Mme Mazarin étaient aussitôt oubliées par elle, mais Saint-Évremond les avait senties avec plus de vivacité qu’il ne convient à un sage. Ses plaintes ont quelque chose de la douleur d’un amant. L’épicurien qui n’avait jusque-là cherché que les plaisirs, une galanterie où le cœur n’entrait pas, et qui n’était le plus souvent qu’une occupation animée de l’esprit, le philosophe qui fuyait le sérieux de l’affection, se prend pour cette illustre aventurière d’une tendresse véritable. C’est de l’amour qu’il ressent pour elle. Il s’en raille, tout le premier, mais il ne peut ni ne veut s’en défaire, Quant aux sentimens d’Hortense, ils sont faciles à démêler. Elle a pour Saint-Évremond une amitié qui ne l’empêche ni de le brusquer, ni de lui demander des conseils, ni de s’irriter quand ils déplaisent, ni d’en être reconnaissante au fond. Comme toutes les personnes parfaitement franches, entières dans chacun de leurs mouvemens, Hortense n’éprouve aucun trouble à changer de sentimens. Elle ne cherche jamais à justifier sa conduite, elle l’oublie, et sans se perdre dans des explications qui sont dangereuses, parce qu’on les juge avec la raison, elle se contredit sans embarras, et se fait tout pardonner par sa grâce. Nous avons dit qu’elle a quelquefois le pouvoir de faire de Saint-Évremond un poète. Ce sceptique, auquel il n’a manqué que de sacrifier plus souvent à la folie sacrée, adore sous les traits d’Hortense la fantaisie et la déraison. Elle est la contradiction de toute sa vie. Amoureux du repos, il s’éprend de cette beauté vagabonde. Égoïste au point de mépriser la gloire, les affaires de la duchesse Mazarin sont les siennes. Il se désole de ses malheurs, il cherche à les prévenir. Quel charme valut à Hortense la conquête d’un sage, à qui elle ne tenait guère ? Elle avait dans son esprit le même abandon que dans sa vie, quelque chose de soudain, d’involontaire, une abondance inculte, quelques-uns de ces dons que le midi, que l’Italie versent avec libéralité sur leurs insoucians enfans. Saint-Évremond, d’une nature plus distinguée, mais plus pauvre, a de la profondeur dans la pensée, mais aussi de la recherche, de la prétention, de l’effort. Les faciles richesses d’une organisation si différente le séduisirent. Il fut ébloui par cet éclat. La poésie, la passion,