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d’affecté ni d’exagéré. Au milieu des camps, où nous la montre Saint-Évremond, répétant contre son mari le cri de guerre que la France avait autrefois poussé contre son oncle, « point de Mazarin ! » elle ne joua jamais à l’héroïne et ne prit point le casque de Clorinde. Ses cheveux, audacieusement dénoués dans le mouvement de la marche, lui font une parure d’une simplicité moins théâtrale et plus séduisante. « A voir le beau tour qu’ils prennent naturellement, et comme ils se tiennent d’eux-mêmes, nous dit Saint-Évremond, qui devient poète en parlant d’Hortense, on dirait qu’ils se jouent à plaisir, tout enflés et glorieux de couvrir une tête si belle. »

Avec Mme Mazarin, Saint-Évremond trouve en Angleterre ce qu’il regrettait de la France, un salon où se réunissent des hommes considérables et des savans distingués. La divinité du lieu ne s’occupe point exclusivement de questions littéraires ; la musique et le jeu, la critique et la philosophie, remplissent le pavillon de Saint-James de diversité et de bruit. Les grands seigneurs s’y rencontrent avec Vossius ; les gens d’esprit se mêlent tant bien que mal à la ménagerie de chats, d’oiseaux et de petits chiens ; Mme Mazarin vit dans cette confusion comme dans son milieu ; elle se livre à ces goûts si contraires et qui la possèdent également ; elle les laisse s’accommoder comme ils peuvent et se faire leur place suivant l’heure et le caprice. Le matin, on a causé d’art et de philosophie, il y a sur la table des livres de toute sorte ; mais le soir arrive : le démon du jeu, sous les traits de Morin, croupier qui s’est enfui de Paris, fait de ce salon une sorte de tripot où l’on chante, où l’on boit, où l’on se fâche. Miracle d’Amour (la duchesse Mazarin souffre volontiers qu’on l’appelle ainsi) ne se possède plus dès la sixième taille, et le jeu commencé le soir ne se termine qu’au matin. Insolente quand elle gagne, furieuse quand elle perd, Hortense ne peut souffrir qu’on l’interrompe ni qu’on parle d’autre chose que de paroli :

Plutarque est suspendu, Don Quichotte interdit,
Montaigne auprès de vous a perdu son crédit,
Racine vous déplaît, Patru vous importune,
Et le bon La Fontaine a la même fortune.

C’est l’heure de la déroute pour les philosophes, d’autant qu’un grand dogue, qui leur en veut particulièrement,

Chop, animal traître et malin,
Des savans tient l’âme inquiète,
Et fait faire aussitôt retraite
Au grand et docte van Beuning.

Saint-Évremond peint assez bien, dans son épître sur la Bassette, l’embarras des savans qui se sont trompés d’heure, et qui ne savent où fuir entre le dogue et le croupier. Moins philosophe qu’eux ou