Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autres nièces et qui lui laissa son nom et ses immenses richesses, elle se trouvait souvent réduite aux expédiens, et l’on sait que Mme de Grignan, envoyant quelques chemises à la belle duchesse ainsi qu’à sa sœur la connétable Colonne, écrivait : « Vous voyagez comme des héroïnes de roman, avec des pierreries et sans linge. » Malgré tout, Hortense savait plaire. « La source des charmes, disait Ninon, est dans le sang Mazarin. »

Cette personne que la nature avait créée dans un jour de belle humeur et pour le plaisir, folle de mouvement et d’éclat, se vit liée par la destinée à une folie contraire à la sienne. Elle fut mariée par le cardinal au fils du duc de La Meilleraye, Armand de La Porte, qui prit en l’épousant le nom de Mazarin. Une religion farouche et ridicule remplissait l’imagination du nouveau duc d’images sombres et d’apparitions. On sait ses incroyables extravagances ; la plus grande de toutes fut son mariage. Cet homme que Saint-Simon nous représente barbouillant les portraits des grands maîtres et mutilant les statues en l’honneur de la morale avait épousé par amour plus que par ambition Hortense Mancini, aussi dangereuse par sa beauté que les statues les plus belles, plus dangereuse encore par son caractère.

Pour composer le portrait de cette brillante personne, il ne faut qu’ouvrir les dernières œuvres de Saint-Evremond, toutes remplies maintenant d’Hortense Mazarin. « C’était une de ces beautés romaines qui ne ressemblent pas aux poupées de France… Ses yeux ont un langage universel… ; leur couleur n’a point de nom : ce n’est ni bleu, ni gris, ni tout à fait noir ; il n’y en a point au monde d’aussi doux… ; il n’y en a point d’aussi sérieux et de si sévères quand elle est dans quelque application. Ils sont grands, bien fendus, pleins de feu et d’esprit… Les mouvemens de sa bouche, les grimaces les plus étranges ont un charme inexprimable quand elle contrefait ceux qui les font. Le rire lui change entièrement l’air du visage, qu’elle a naturellement fier, et qui prend une teinte de douceur et de bonté ; son nez, qui est de la plus juste grandeur, donne un air noble et élevé à toute sa physionomie. » Il semble en effet qu’Hortense avait une de ces beautés achevées, un peu cavalières, qui ne craignent ni le bruit ni les exercices violens. Le désordre de l’habillement, le grand ajustement comme le plus simple négligé, tout allait à cette femme. Qu’elle passât la journée en déshabillé dans sa chambre à jouer de la guitare, quand elle aurait dû solliciter pour ses procès, ou qu’elle s’amusât, comme nous la montre Saint-Évremond, à donner dans quelque brillante revue des ordres aux troupes, qui les recevaient plus volontiers que ceux des généraux, elle apportait dans tous ces contrastes, qui pour d’autres auraient été des rôles, un parfait naturel. Il n’y avait chez cette Italienne rien