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et d’Arlington c’est lui qui prend parti pour le côté le plus sérieux et le plus sévère des questions qu’ils agitent. Il ne faut pas sans doute y chercher un code de morale bien austère, mais s’arrêter n’importe à quel point sur la pente qui entraîne les contemporains, c’est déjà quelque chose.

Il retrouvait aussi à Londres un autre personnage qu’il avait rencontré dans ses voyages, et dont le caractère, malgré la différence des positions, offre avec le sien certaines ressemblances, le chevalier William Temple, si justement célèbre pour avoir le premier arrêté, par le traité de la triple alliance, les envahissemens de Louis XIV, mais à qui une modération d’esprit incompatible avec le grand jeu de l’ambition et du pouvoir ne permit d’accomplir que la moindre partie des destinées qui semblaient réservées à ses talens. « Du vieux bois pour se chauffer, de vieux amis pour causer, du vin vieux pour boire, » voilà, disait Temple, les trois choses qui passent avant tout, et comme il les trouvait dans sa studieuse retraite, il n’en sortait qu’à peine et y rentrait avec plaisir. N’ayant ni les qualités ni les défauts d’un chef de parti, il refusa plus d’une fois cette responsabilité éclatante qui s’attache, dans les gouvernemens libres, à la direction des pouvoirs publics. Il regardait la politique comme un délassement où il voulait bien risquer sa mise ; mais comme un joueur prudent il n’y engageait ni sa fortune ni sa vie, pas même son bien-être. « Il est deux heures, disait-il à un ministre étranger qui lui exposait longuement une machine de son invention ; à cette heure, je préfère mon tourne-broche et ses produits à toutes les machines du monde. » Et il le quitta brusquement.

Rien ne pouvait mieux convenir à Saint-Évremond que ses relations intimes avec ce personnage. La conformité des goûts et des opinions l’en rapprochait. Toutes les fois que sir William Temple revenait en Angleterre, et sa politique d’amateur l’y ramenait souvent, ils se rencontraient à White-Hall, où le roi recevait tous les jours, avec une grâce à laquelle les vieilles têtes rondes elles-mêmes étaient obligées de rendre hommage, tous les gentilshommes de son royaume et les étrangers de distinction. Le soir, ils se retrouvaient à ces soupers dont la mode était encore empruntée à la France, et dans lesquels une génération avide de plaisirs oubliait dans la galanterie, le jeu et la bonne chère les privations et les misères de l’exil. Ce n’était pas seulement dans ces cercles brillans que les deux amis aimaient à se réunir. Le jour, ils se donnaient rendez-vous dans un des cafés les plus célèbres de Londres, le café Will, près de Covent-Garden. C’était le lieu de réunion des écrivains et de tous les seigneurs et courtisans qui tenaient à honneur de cultiver les lettres ou même de s’y intéresser. Ces établissemens, d’une importation toute récente, s’étaient multipliés avec ; une prodigieuse