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ne connut point cette critique intelligente et libre qui cherche moins dans le passé des modèles à copier que des secrets à découvrir. Il y a dans la littérature à cette époque un effort pour reconstruire et continuer l’antiquité, qu’il fallait se contenter de comprendre. Homère, Horace et Virgile ont observé la nature et le cœur de l’homme, ce furent leur modèle et leur inspiration ; si l’on n’étudie que leurs ouvrages, ceux que l’on produira par la suite ne seront que des copies de plus en plus affaiblies. La fraîcheur, l’originalité, cette éternelle nouveauté du monde et des sentimens lorsqu’ils nous arrivent sans intermédiaire, ont un charme si puissant que l’on ne peut s’empêcher d’en vouloir aux élèves les plus habiles, lorsqu’ils répètent leurs maîtres au lieu de sentir par eux-mêmes. Aussi doit-on savoir gré à Saint-Évremond de la disposition d’esprit qui l’affranchit de cette idolâtrie. Il se rattache en littérature au groupe des Fontenelle, des Lamotte et des Perrault, à l’exagération près ; ses défauts l’y rattachent également. Les fanatiques des anciens sont au XVIIe siècle les vrais poètes malgré la faiblesse des théories ; les critiques indépendans, Saint-Évremond en particulier, écrivent des poésies détestables et compromettent leur système par leurs vers. Ainsi la comédie des Académistes, que Saint-Évremond publia en 1640, est un manifeste de la nouvelle école, où le charme de l’exécution fait défaut à une idée juste. L’auteur a voulu railler la réglementation excessive de l’hôtel de Rambouillet, cet esprit méticuleux qui, repoussant certains mots comme bas et malsonnans, en réclamait d’autres, et finissait par étouffer la pensée sous le puéril souci des syllabes et des sons.

C’est avec la même indépendance qu’il aborde l’histoire. Dans les essais de ce genre qu’il nous a laissés, il la débarrasse de ces curiosités inutiles où se complaisent ceux qu’il considère comme des grammairiens. « Je n’aime point ces gens doctes qui emploient toute leur étude à restituer un passage dont la restitution ne nous plaît en rien. Ils se font un mystère de savoir ce que l’on pourrait bien ignorer, et n’entendent pas ce qui mérite véritablement d’être entendu. Dans les histoires, ils ne connaissent ni les hommes ni les affaires, ils rapportent tout à la chronologie, et pour nous pouvoir dire en quelle année est mort un consul, ils négligeront de connaître son génie. » Le livre sur la Grandeur et la Décadence des Romains a fait rentrer dans l’ombre les réflexions de Saint-Évremond sur les divers génies de ce peuple. Montesquieu a marché avec plus d’assurance dans la voie nouvelle. L’histoire est devenue avec lui de la philosophie. Les faits n’ont plus été recherchés que pour donner des lois et rejetés ensuite comme une écorce vide dans ce passé auquel ils appartiennent. L’histoire est devenue vivante, parce qu’elle s’est dégagée de cette enveloppe périssable, après