Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans intérêt et sans lendemain. Trop d’ambitions rivales et contradictoires s’y réunissaient pour s’accorder plus d’un moment dans une feinte amitié. C’était une de ces révoltes qui ne sont dangereuses que jusqu’à l’heure où elles s’organisent, parce qu’il se présente alors dix chefs au lieu d’un, qui ne sont point entrés dans le parti pour y servir, mais pour y commander, que les soldats sur lesquels on compte pour former une armée, n’y étant accourus que pour en être les généraux, se dispersent quand ils ont vu distribuer les premiers emplois. Saint-Évremond comprit que cette agitation se calmerait d’elle-même, et qu’elle venait de trop de causes pour en avoir une véritable. Il résista sans peine aux offres qui lui furent faites, il refusa le commandement de l’artillerie dans une armée qui n’existait qu’en imagination, « et, à dire vrai, dans l’inclination qu’il avait pour Saint-Germain, il eût bien souhaité de servir la cour en prenant une charge considérable où il n’entendait rien ; mais comme il avait promis au comte d’Harcourt de ne point prendre d’emploi, il tint sa promesse, tant par honneur que pour ne pas ressembler aux Normands, qui avaient presque tous manqué de parole. » Il fit mieux, il prit le parti de la cour, et tourna contre les frondeurs l’arme du ridicule. Le récit burlesque de la retraite de M. le duc de Longueville dans son gouvernement de Normandie est une des rares mazarinades qui partirent de Saint-Germain. Il est impossible de mieux découvrir la vanité des chefs de parti et la pauvreté des motifs qui peuvent amener dans les états de grands déchiremens. Chacun des frondeurs se présente dans cette relation de la manière la plus naturelle et la plus aisée, et fait lui-même sa critique et celle du parti. Quand Saint-Ibald demande « l’honneur de faire entrer les ennemis en France, » réclame un plein pouvoir de traiter avec les Polonais, les Moscovites, et l’entière disposition des affaires chimériques, il a prononcé sur cette révolte, odieuse puisqu’elle appelle l’étranger, ridicule puisqu’elle ne dispose que de moyens en l’air, la même condamnation que l’histoire. C’est ce double accent, où l’indignation et la plaisanterie sont si heureusement opposées, qui fait le charme animé et le mérite de cette satire ; les bruits de la guerre, les discours des généraux, la présence de l’étranger, toutes ces choses graves ou terribles s’évanouissent pour le lecteur dans un continuel éclat de rire. On arrive ainsi naturellement, sans effort, à cette conclusion pleine de bon sens, où la pensée de Saint-Évremond s’élève, où la note sérieuse se dégage et domine cette brillante gaîté : « Je me tiens heureux d’avoir acquis la haine de ces mouvemens-là, plus par observation que par ma propre expérience. C’est un métier pour les sots et pour les malheureux, dont les honnêtes gens et ceux qui se trouvent bien ne se doivent point mêler. Les dupes y viennent là tous les jours