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étendu pour préserver les territoires fidèles ou pour réduire les territoires insoumis. Cette immobilité de Grant assure la disponibilité des troupes de ses lieutenans. D’un côté il tient en échec les forces de Lee, de l’autre il menace Richmond et l’investit par les mêmes travaux hydrauliques qui lui ont livré Wicksburg. Appuyé sur le James, il en commande le cours inférieur par ses canonnières et ses batteries de berge. De jour en jour, il pousse plus loin ses approches au moyen de mouvemens de terres familiers aux Américains, creuse un canal pour ouvrir à sa flottille le James supérieur et serrer dans de plus étroites limites le champ de la défense. Sa présence obstinée a pour l’ennemi le sens d’un risque toujours prochain ; elle l’empêche de se dégarnir pour aller chercher au loin des diversions et des aventures ; elle couvre Sheridan, qui garde les défilés de la Shenandoah. et permet à Sherman de pénétrer au cœur des provinces qui ont été le premier foyer de l’insurrection. C’est cette marche de Sherman qui est surtout décisive ; elle a été conduite avec une hardiesse et une habileté consommées. Peu de détails en ont transpiré ; à peine de loin en loin apprend-on que de grands coups ont été portés, qu’Atlanta s’est rendu, que Savanah a été enlevé de vive force, que Charleston, longtemps invulnérable, va être pris entre deux feux. Il n’y a pas là seulement de beaux faits de guerre, il y a l’instinct de la seule combinaison qui puisse faire tomber les armes des mains des révoltés. Cette combinaison est des plus simples ; elle consiste à s’emparer de leurs ports de mer pour les isoler de l’Europe.

On s’étonne quelquefois du peu de mesure que garde la presse américaine quand elle parle de l’esprit européen. Par la neutralité qui a prévalu, ces colères semblent mal justifiées. C’est qu’au fond cette neutralité n’est qu’apparente et a couvert des interventions déguisées. Il est constant que la longue résistance du sud n’aura tenu qu’à la connivence de certains états de l’Europe. Ce serait déjà beaucoup que le pervertissement des opinions poussé jusqu’au scandale et les promesses de reconnaissance souvent insinuées, toujours éludées ; mais il y a des griefs plus sérieux et en réalité un concours effectif. En face et à peu de distance des deux Carolines, les Anglais possèdent un petit groupe d’îles, les Bermudes, qui, en temps ordinaire, ne sont qu’un point de relâche et une station navale. Depuis que la guerre sévit, cette station est devenue le siège d’un commerce interlope que l’Union reconstituée ne pardonnera jamais à l’Angleterre. Longtemps les Bermudes ont été le principal arsenal du sud. Il y puisait ses armes, ses munitions, souvent ses recrues ; ses corsaires s’y ravitaillaient impunément. Les fournitures militaires, importées par gros chargemens et mises