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elle s’est balancée entre les deux camps de manière à laisser les opinions indécises. Jamais guerre ne se fit d’une manière plus décousue, plus au rebours des procédés que nos grands capitaines ont mis en crédit. Depuis bientôt un siècle, nous sommes accoutumés en Europe à des campagnes expéditives qui, en quelques mois, décident du sort des états. Un siège qui dure un an, comme celui de Sébastopol, ne nous semble pas exempt de longueurs, L’Amérique, qui ne fait rien comme nous, n’a pas de ces impatiences. Elle ne nous a emprunté ni nos marches rapides, ni nos actions décisives. Ses victoires n’ont pas de lendemain, et l’effet en est souvent détruit par des échecs inattendus. Tout cela de loin s’explique mal et déroute les conjectures. On ne comprend guère non plus pourquoi, à tout propos, les armées se retranchent, même quand le terrain est libre pour le combat, et restent pendant des mois entiers en face l’une de l’autre dans une expectative dont la signification échappe. Pour se rendre compte de cette tactique, il faut remonter aux Romains et à ces camps fortifiés que César multipliait dans les Gaules. Est-ce un retour vers l’enfance de l’art ou un système de temporisation commandé par l’étendue du théâtre des hostilités ? A la distance où nous sommes et dans la disette de renseignemens, il est malaisé d’en juger. Il y a pourtant un fait qui, sans être nouveau dans l’histoire des guerres, est plus particulier à l’Amérique qu’au continent européen : c’est l’habitude de prendre la mer ou les grands fleuves pour base d’opérations, et d’entretenir une force navale à l’appui des armées de terre, soit pour l’action, soit pour le transport des hommes et des approvisionnemens. Sur le James comme sur le Mississipi, on retrouve des flottilles aidant aux sièges, poussant des reconnaissances hardies, balayant les rives, jetant des bataillons sur les points où l’offensive commence, leur servant de refuge au besoin, et couvrant leur retraite quand ils plient sous le nombre. Cette action combinée a peut-être là des modèles bons à étudier ; mais il n’en reste pas moins évident que cette façon de mener une guerre n’est pas la bonne, et que, sans en chercher d’autres causes, elle est condamnée par ses seules lenteurs et par une impuissance avérée d’aboutir à rien de définitif.

Cependant, depuis quelques mois et à la suite de la prolongation des pouvoirs de M. Lincoln, on dirait qu’une sorte de méthode s’est introduite dans des opérations qui jusqu’alors avaient été mal liées. La campagne actuelle se distingue des précédentes par une plus grande unité dans les plans et plus de concert dans les mouvemens des armées. Le corps de Grant, qui est le plus considérable, sert comme de pivot aux corps expéditionnaires, distribués dans un rayon