Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malheureusement, dès les premiers temps, la cour de Yédo s’était trouvée dans une situation des plus difficiles vis-à-vis de ses hôtes nouveaux. Après s’être fait passer auprès d’eux pour le principal pouvoir du Japon, le taïkoun n’avait pas tardé à donner des preuves, sinon de sa faiblesse, au moins de son isolement au milieu d’une faction dont il ne réussit point toujours à réprimer les menées. Les ministres des puissances comprirent alors qu’ils n’avaient pas traité avec tous les représentans de la nation japonaise, et qu’ils n’étaient pas installés dans les ports avec l’assentiment des véritables maîtres du pays. Le taïkoun, en signant les conventions avec les Européens, avait peut-être outrepassé ses prérogatives, et l’on avait sans doute exigé de lui tout d’abord de trop larges concessions ; plus restreintes et plus prudentes, les clauses des traités eussent été peut-être d’une exécution plus facile. La politique des ministres étrangers en présence de l’hostilité croissante des hautes classes japonaises fut dès lors de céder en protestant et d’attendre, non sans réserver les droits de leurs gouvernemens respectifs, des circonstances plus favorables à la stricte observation des engagemens internationaux.

Une profonde obscurité n’a cessé du reste d’envelopper les événemens intérieurs du Japon et les variations de son état politique. Le gouvernement de Yédo, préoccupé sans doute de cacher aux puissances étrangères ses moyens d’action et aussi ses faiblesses, a de tout temps prohibé les moindres révélations à cet égard. Toute infraction à cette règle est punie de mort, et telle est la discrétion absolue des gouvernans aussi bien que des gouvernés, que l’étranger admis au Japon, vivant chaque jour au milieu de la population indigène, continue d’ignorer ce qui se passe autour de lui ou à quelques lieues plus loin. De rares communications officielles d’une exactitude très douteuse, l’aspect vague et extérieur des événemens ou quelques rumeurs populaires, tels sont les seuls élémens qu’il peut recueillir. L’espionnage contribue pour beaucoup à cette discrétion et à cette muette obéissance du peuple japonais. Cette force qui, dans nos sociétés, se dissimule et se voile honteusement, là où elle passe pour être indispensable au maintien de l’ordre, s’emploie dans ce pays au grand jour. L’espionnage y forme une profession publique avec sa hiérarchie et ses grades, qui sont la récompense du mérite et des services rendus. Chaque fonctionnaire se voit surveillé par son collègue, tandis que lui-même en surveille un autre. C’est ainsi que les taïkouns, dans leurs jours de puissance, ont institué la charge d’un grand-juge qui habite à Kioto

    de monnaie de luxe qui reste empilée dans les caisses du trésor ou dans les châteaux des daïmios.