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de la baie parussent désarmés et déserts, des mouvemens nombreux avaient lieu en réalité sur les hauteurs de l’île. Derrière les buissons et les arbres qui entourent ses pentes d’un épais tapis de verdure, les Japonais travaillaient à des ouvrages en terre et semblaient disposer plusieurs batteries dont le feu eût plongé impunément sur la petite flotte. Ces préparatifs et l’intensité toujours croissante de la tempête décidèrent les Anglais à se rapprocher de l’entrée de la baie. Pour sortir du canal renfermé entre Sakoura-sima et la ville, il fallait passer à portée des batteries de l’un ou de l’autre bord. L’amiral prit le parti de longer les premières, qui s’étaient tues la veille, et les bâtimens défilèrent devant ces nouveaux ouvrages en leur envoyant successivement leurs bordées. L’ennemi répondit assez faiblement, et sans faire de mal aux navires. Le soir, la division était mouillée à l’extrémité méridionale de l’île, en dehors des défenses, et quelques jours après, le combustible venant à manquer, le besoin des renforts et ravitaillemens devenant de plus en plus sensible, l’amiral évacua la baie et rallia la rade de Yokohama.


IV

Dans les premiers jours du mois d’août, au moment où la flotte anglaise se disposait à appareiller pour Kagosima, on avait vu de nombreux bâtimens à vapeur passer au large de la baie de Yokohama et se diriger vers Yédo. C’était le taïkoun qui revenait de Kioto et rentrait dans sa capitale. Que s’était-il passé dans l’entrevue du souverain spirituel du Japon et de l’empereur séculier ? Le premier avait-il compris les dangers de la politique agressive où les daïmios s’engageaient en son nom ? Si quelque résolution avait été prise dans cet auguste conseil, le secret en était gardé avec le soin le plus ombrageux. Quelques bruits circulaient seulement sur une assemblée tenue à Yédo après le retour du taïkoun, et où les daïmios se seraient entendus au sujet des récentes mesures de l’autorité suprême du Japon. Dans ce conseil, le prince Owari, le chef d’une des trois familles Gosanké[1], avait, disait-on, proclamé l’appel aux armes, et engagé les hauts feudataires à cesser l’existence oisive qu’ils menaient depuis de longues années, pour se préparer à la guerre, acheter des armes, équiper des soldats et se tenir prêts, dans cinq ans, à engager la lutte. Quelques jours après, les deux circulaires suivantes avaient été remises aux gouverneurs et chefs

  1. Les Gosanké sont les princes du sang, fils et descendans du siogoun Hiéas, qui a posé au commencement du XVIIe siècle les bases du pouvoir des taïkouns. C’est aux trois familles Gosanké (Kousiou, Mito et Owari) qu’appartient exclusivement l’honneur de donner au Japon ses souverains temporels, élus par les deux conseils de l’empire et confirmés par le mikado.