Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et s’expatrier, afin de se soustraire au ressentiment de ses propres partisans, qui ne lui auraient point pardonné d’avoir failli à la foi publiquement jurée.

Armyros n’a rien qui mérite de fixer l’attention du voyageur ; mais si l’on continue à descendre le golfe de Messénie en suivant la haute cime scabreuse des récifs accumulés sur cette côte, on pénètre avec émotion dans une contrée de plus en plus curieuse. Le premier village qu’on rencontre au sortir d’Armyros est celui de Palæokhori[1], dénomination appliquée en Grèce à un grand nombre de lieux où la tradition place une ville de l’ancienne Hellade. Palæokhori s’élève sur les ruines de l’antique Abia ou Iré, l’une des sept villes messéniennes que, suivant Homère, Agamemnon promettait à Achille. Nul vestige de ces beaux temples dédiés, l’un à Hercule, l’autre à Esculape, que l’historien Pausanias y vit encore. En s’éloignant un peu de la mer, on entre dans le canton de Zarnate ou Stavropighi ; quelques blocs cyclopéens indiquent, sur une colline près du village de Varousa, l’emplacement d’Énopé ou Gérénie, d’où Nestor tira son surnom de Gérénien. Ce district est l’un des plus curieux du Magne ; l’olivier, le mûrier et le figuier y croissent plus abondamment que dans les contrées environnantes, et produisent d’assez belles récoltes qu’achète le commerce de Calamata[2]. Cette fertilité, relative d’ailleurs, est le résultat des gigantesques travaux accomplis et continués depuis des siècles pour combattre l’aridité naturelle du sol. L’aspect de la contrée est des plus sauvages, des ravins multipliés se croisent en tous sens au milieu de rochers ingrats et de montagnes d’un périlleux accès ; mais sur toute l’étendue de ce pays si rudement accidenté la terre végétale a été recherchée, amassée précieusement, transportée avec d’incalculables efforts du pied à la cime des monts, déposée comme des oasis aériennes sur chaque pente et sur chaque plate-forme, garantie enfin contre l’action des pluies par une innombrable quantité de murs, dont les plus hauts ne s’élèvent pas au-dessus de 3 mètres, et sans l’appui desquels la première tempête emporterait tout dans le torrent. Cette œuvre de géans est due à la seule main des femmes, car le Maïnote professe pour l’agriculture et les travaux des champs un insurmontable dédain. Ce sont les femmes seules qui ont de temps immémorial, pierre à pierre, de génération en génération, accumulé ces terres et construit cette multitude de degrés protecteurs qu’elles entretiennent et réparent encore tous les jours. Ce genre de culture a reçu dans le canton de Zarnate son

  1. De παλαιόν, ancien, et Χωρίον, village.
  2. Chef-lieu de la Messénie.