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dînaient et se reposaient, un feu très lent était continué sur les alentours de l’ouvrage.

Un curieux incident se produisait alors sur la rive opposée. Nous étions embossés devant la petite ville de Tanaoura, appartenant, comme toute la côte sud du détroit, au prince de Bouzen. Dès le commencement de l’action, une foule considérable avait garni la grève, les nombreuses jonques mouillées en avant et les escaliers conduisant à des pagodes qui s’élevaient sur la montagne. Une heure après notre mouillage, M. l’abbé Girard, missionnaire très versé dans la langue japonaise, et l’interprète de la légation de France, accompagnés d’une escorte, étaient chargés d’aller trouver les autorités de la ville de Tanaoura et de leur remettre la proclamation de l’amiral. Ils débarquèrent au milieu d’une population dont l’attitude n’indiquait aucune malveillance ; cette foule, sans manifester d’autre sentiment que celui de la curiosité, assistait au combat comme à un spectacle, discutant et jugeant la justesse de chaque coup. Nos deux envoyés, conduits aussitôt chez l’obounio ou maire de la ville, furent gracieusement accueillis par ce fonctionnaire : il les fit asseoir à la place d’honneur et écouta leurs explications ; enfin, recevant de leurs mains la proclamation, il l’expédia, séance tenante, au prince de Bouzen par un messager extraordinaire.

À midi, les embarcations sont armées en guerre et reçoivent la compagnie de marins-fusiliers de la frégate (lieutenant de vaisseau Miet) et celle des chasseurs du bataillon d’Afrique (capitaine Côte), en tout deux cent cinquante hommes, placés sous le commandement du capitaine de vaisseau Le Couriault du Quilio. Le chef d’état-major Layrle accompagne la colonne. La petite flottille aborde au pied de mamelons qui s’étendent sur la droite et dominent la batterie en arrière. Les chaloupes lancent quelques obus pour éclairer le bois ; les hommes sautent à terre et se rangent sur le rivage sans que l’ennemi accuse sa présence. La partie la plus délicate de l’opération est ainsi terminée sans encombre. Les chasseurs gravissent aussitôt le mamelon qu’ils doivent occuper, tandis que, longeant la mer, les fusiliers se portent en deux sections sur la gauche pour s’emparer de la batterie par la gorge. Quelques instans après, les trois petites colonnes disparaissent dans les bois en engageant la fusillade. C’est un moment critique, car nous ignorons où sont les forces de l’ennemi ; mais bientôt un mouvement s’opère dans la batterie. Ce sont nos marins qui l’ont emportée et qui agitent leurs chapeaux en couronnant les parapets. Les chasseurs ont balayé les bois du mamelon en arrière et disparaissent sur le versant opposé, pendant que les marins enclouent les pièces et entassent sous les affûts des matières inflammables. Tandis que ce travail de destruction s’accomplit, quelques détachemens traversent la rizière à gauche