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Pays-Bas, passager à bord de la corvette hollandaise ; ce dernier rapport était relatif à un violent combat que la Méduse, elle aussi, avait dû livrer en passant le détroit de Simonoseki.

Il faut tout de suite dire un mot des dangers auxquels avait échappé notre petit aviso le Kienchan. Le 8 juillet, à cinq heures du matin, ce bâtiment, mouillé à l’entrée intérieure du détroit, se disposait à lever l’ancre, lorsqu’un canot, monté par huit hommes et deux officiers japonais, se présenta le long du bord et adressa plusieurs questions au pilote indigène qui se tenait sur la passerelle : « quel était le navire ? d’où venait-il ? » Les officiers japonais ne se faisant pas reconnaître, il leur fut intimé l’ordre de s’éloigner, et le canot repartit du côté de Simonoseki. Un quart d’heure après, le Kienchan appareilla et s’engagea dans le détroit, pavillon et flamme[1] déployés. À ce moment, deux coups de canon furent entendus à une très grande distance. Un petit fort construit sur la rive nord était à peine dépassé que les pièces qui l’armaient se mirent à tirer ; les boulets ricochèrent assez loin derrière le navire, et le capitaine, ne pouvant soupçonner les moindres intentions hostiles, crut à un exercice de tir interrompu pour laisser passer le Kienchan ; mais quelques minutes après un boulet rasait presque la mâture du Kienchan, et deux autres batteries, placées en avant de la première sur la côte, ouvraient à leur tour un feu très vif et bien dirigé. Stupéfait de cette agression et l’attribuant à quelque défense de franchir les passes, le capitaine, tout en faisant armer ses deux pièces, mit une baleinière à flot. Un officier et un interprète de la légation de France, qui se trouvaient à bord, étaient sur le point de s’y embarquer pour aller demander les motifs de ces actes étranges d’hostilité, quand un boulet vint fracasser l’embarcation. En même temps deux navires japonais, mouillés sur l’avant dans le détroit, joignaient leur feu à celui des autres batteries. Le bâtiment paraissait perdu. Revenir en arrière était impossible ; cette opération, dans un chenal étroit et battu d’un rapide courant, eût exigé trop de temps ! Le capitaine adopta immédiatement la seule chance de salut qui s’offrît à lui : il fit démaillonner la chaîne, et, laissant son ancre au fond, il reprit sa route à toute vitesse, sous le feu toujours nourri des batteries, qui faisait voler en éclats les parois du navire et coupait toutes les manœuvres. Il envoya seulement en passant quelques coups de canon aux deux navires qui se disposaient à appareiller, et ne tarda pas à atteindre la sortie extérieure du détroit. En ce point, deux passes se présentaient pour gagner le large : l’une, suivie par tous les navires d’un certain tonnage, longeait la ville de

  1. La flamme est, pour toutes les nations maritimes, le signe distinctif du bâtiment de guerre.