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une patience infatigable. Le général Pruyn, ministre des États-Unis, était, on l’a vu, demeuré seul à Yédo, cherchant à prouver par cette attitude le maintien de son influence. Dans les derniers jours de mai, sa légation fut détruite par un incendie. Lui-même, s’étant réfugié dans un petit temple voisin, essayait en vain de se maintenir sur le territoire de Yédo malgré les craintes hypocrites que manifestaient pour sa sûreté les autorités japonaises. Dans la nuit du 1er juin, il fut entouré, presque enlevé, et, sous prétexte d’un péril immédiat qui le menaçait, mis à bord d’un navire japonais qui vint le déposer en rade de Yokohama. Il ne restait plus dès lors un seul étranger dans l’enceinte de Yédo, et les efforts du gouvernement japonais pouvaient se concentrer avec d’autant plus d’énergie sur Yokohama. À plusieurs reprises, les gouverneurs, alléguant l’intérêt même des étrangers, dont il fallait garantir la sécurité, avaient manifesté l’intention de faire occuper la concession européenne par leurs propres troupes. Ces offres ayant été formellement déclinées par les amiraux, les gouverneurs durent se borner à garder plus étroitement les issues de la ville.

Sur ces entrefaites, le colonel Neal fut informé par une note officielle qu’un premier paiement des indemnités allait avoir lieu le 18 juin. Chacun s’applaudit alors d’une solution qui calmait toutes les craintes et semblait éloigner tout péril de guerre ; le secret de l’opération clandestine consentie par le colonel Neal n’était même plus gardé. Deux jours se passèrent pourtant sans que la promesse du gouvernement japonais eût reçu le moindre commencement d’exécution. Le 20 juin, le chargé d’affaires d’Angleterre informa ses collègues qu’après cette dernière et flagrante violation d’engagemens solennels, il rompait toutes relations diplomatiques, et remettait la solution du différend entre les mains du commandant en chef des forces britanniques. Le lendemain, l’amiral Kuper déclara qu’il n’entamerait les hostilités que sous huit jours, sauf le cas d’un mouvement agressif des Japonais. Prévoyant qu’il allait être amené à quitter la rade, il avertissait les résidens de l’impossibilité où il se trouvait de défendre la ville contre une attaque venant de l’intérieur. Toute la population étrangère de Yokohama se tint donc prête au départ, et fit embarquer à bord des navires en rade ses objets les plus précieux.

Devant cette panique, l’amiral Jaurès comprit que l’attitude la plus décidée serait aussi la plus efficace : il déclara sa ferme intention de rester à Yokohama et d’y protéger les résidens de toutes nations par tous les moyens en son pouvoir. Tout en priant le ministre de France de porter sa décision à la connaissance de ses collègues, il en informa les gouverneurs de Yokohama. La suite des événemens prouva qu’il n’avait pas engagé par cette énergique déclaration le