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anéantie[1], ce qui n’empêcha pas Gelele de se dire vainqueur et de rentrer en triomphe dans sa capitale, où il ramenait bon nombre d’esclaves achetés ou volés sur la route.

« Bien des années s’écouleront avant que le Dahomey se puisse remettre d’un pareil coup, et j’espère d’ici là le voir aussi bas que terre, » s’écrie le capitaine Burton en terminant son récit, dont certaines parties, essentiellement apologétiques, ne préparent guère à cette conclusion. On peut s’associer à un pareil anathème sans avoir des raisons aussi particulières pour en vouloir à ce pays de malédiction où un représentant de la Grande-Bretagne s’est vu réduit à danser, à chanter entre deux massacres, et au pied même des échafauds où ils s’étaient accomplis, pour divertir l’abominable sauvage qui les avait prescrits et inaugurés de sa main. Tout au plus, avec la certitude d’obtenir ainsi l’abolition des sanglantes « coutumes, » se résoudrait-on à recevoir les cauries et à boire le rhum de ce roitelet nègre. Plier son orgueil d’homme civilisé à des nécessités si outrageusement humiliantes et ne rapporter en échange qu’un refus pur et simple, un échec complet, il y a là de quoi expliquer une amertume, un ressentiment exceptionnels. Cependant il nous paraît abusif de les étendre à toute une moitié de la race humaine, et le rancuneux diplomate aurait pu éviter de se montrer aussi négrophobe que peuvent être négromanes les hommes, d’ailleurs fort respectables, qu’il dénonce à la risée publique[2]. De tels excès de plume n’ajoutent rien aux tristes renseignemens que le livre du capitaine Burton donne sur l’état de la race noire, et ses récits, d’un intérêt plus actuel que ses dissertations, ne prouveront jamais que cette situation est définitive et irrémédiable. Il ressort en revanche des premiers, avec une évidence frappante, que les ménagemens excessifs de la diplomatie, ses complaisances et ses manœuvres obliques servent assez mal les intérêts du progrès humain ; l’homme civilisé, s’il abdique le juste sentiment de sa valeur personnelle, se dégrade et se diminue dans l’esprit du barbare le moins fait pour la comprendre. Une fermeté prudente, mais inflexible, convient seule à son rôle, et peut seule légitimer l’influence qu’il revendique. Certain proverbe familier dit qu’ « on perd son temps à blanchir la tête d’un nègre. » Croit-on par hasard l’employer mieux quand on s’essaie à noircir la tête d’un blanc ?

  1. Elle aurait perdu, selon les Egbas, 6,821. On remarquera comme nous que les évaluations du capitaine Burton, qui porte les forces du Dahomey à 8,000 hommes environ avant le combat, ne concordent point avec un tel résultat, bien évidemment exagéré.
  2. A Mission to Gelele, ch. XIX, t. II, p. 177 et suivantes. — On the Negro’s place in nature.