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voix rares pendant cette foire musicale qui de mai en août se tient à Londres ! La vie se prouve par la vie. Tant que l’opéra italien, qui n’est plus désormais qu’un mort qu’on galvanise, répondit à une idée, à un besoin, les ressources ne lui manquèrent pas. Ses chanteurs remplissaient l’Europe du bruit de leurs exploits. Nous nous occupons de la Patti ; mais qu’est-ce que ce feu d’artifice isolé quand on le compare aux enthousiasmes de Milan, de Venise et de toutes les capitales de l’Italie à cette bienheureuse époque des Capuletti e Montecchi, alors qu’il pleuvait des bouquets, neigeait des colombes sur la scène, et qu’au milieu des trépignemens et des hourras, mille bras agitaient dans l’air des mouchoirs estampillés du portrait des deux Grisi ? Et dès le lendemain c’étaient d’autres étoiles. Où nous en citons une à cette heure, il y en avait des voies lactées. Ces bulletins du théâtre italien passionnaient le monde, arrivaient à Paris, où les journaux politiques les enregistraient avec une importance dont l’idée seule, à distance, fait sourire. Que s’était-il passé à Sinigaglia à propos de l’Esule di Roma de Donizetti ? Quel accueil les Normani de Mercadante avaient-ils reçu à Jesi ? Que pensait-on à Cagliari d’Anna Bolena, à Sassari de la Chiara de Ricci ? Voilà ce qu’avant toute chose un honnête homme devait apprendre, et les mêmes feuilles que remplissent à présent les discours du baron Ricasoli ou du général La Marmora vous racontaient gravement les succès mirifiques, portentosi, de la signora Adélaïde Fantuzzi à Mirandole, ou le fiasco stupendo de la Corri Paltoni à Bergame. Quant au bon public, en attendant de passer à la question romaine et de se ménager plus tard une opinion sur le pouvoir temporel des papes, il suivait avec un intérêt plein d’émotion la lutte acharnée, implacable, que dans un coin encore plus ignoré les guelfes de la signora Clorinde Corradi Pantanelli livraient aux gibelins de la signora Galzerani Battagia, tandis que la signora Gilda Minguzzi profitait de l’occasion pour grouper tout doucement un petit tiers-parti qui n’était pas à dédaigner. L’homme s’agite et Dieu le mène. Ces détails grotesques, bien que n’ayant rien qui doive jeter du discrédit sur une époque, témoignent du moins de l’influence exercée au dehors par l’Italie musicale en 1830. L’opéra italien régnait en maitre : désormais ce règne a vécu.

C’est du nord aujourd’hui que nous vient la lumière.


Le vol est à la musique allemande. L’œuvre d’enseignement fondée il y a trente ans au Conservatoire sous la direction d’Habeneck, poursuivie à travers mille vicissitudes par les associations orphéoniques, les traductions, les concerts populaires, cette œuvre a produit ses résultats ; la propagande fait son chemin, le goût se forme. Nous sommes loin de l’époque où M. Baillot, voulant donner à Paris des séances de quatuors, s’apercevait avec douleur qu’il avait affaire à un public tellement exceptionnel, tellement restreint, qu’il fallait renoncer à l’entreprise, à moins d’en vouloir à soi tout seul supporter les frais. L’artiste, indigné, gémissait, lorsqu’un aimable galant homme, que possédait l’esprit des Haydn, des Mozart, des Beethoven,