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rendit maître, et dans ces temps où l’Italie politique n’existait pas promena par toutes les capitales de l’Europe la domination italienne. Les grandes villes se l’arrachaient ; bientôt un seul Rossini ne suffit plus. On vit se grouper autour de lui une légion d’imitateurs : Mercadante, Generali, Caraffa, tous gens adroits à s’approprier son style en ce qu’il pouvait avoir de banal, de courant, tous également habiles à manœuvrer le crescendo, la stretta, la cadence, à traiter ce fameux chœur dont la mélodie sautille dans l’orchestre et ce récitatif avec trombonnes obligés. À force de se copier lui-même, le maître avait rendu d’ailleurs la besogne facile et presque sans reproche aux autres, et la plupart de ces imitations furent si bien réussies qu’on les prendrait, à la simple audition, pour du mauvais Rossini, tout comme on prend pour des Rubens une foule de portraits et de tableaux exécutés par les élèves du grand Flamand. Toutefois ces noms-là, quoiqu’il s’en rencontre un parmi eux, Mercadante, qui dans sa seconde période ait brillé d’un éclat particulier, ces divers noms disparaissent entièrement dans le rayonnement de l’astre dont l’attraction les absorbe. Jusqu’à Bellini, Rossini n’a que des imitateurs plus ou moins intelligens, des satellites. À Bellini commence une période nouvelle, période de décroissance qui par Donizetti se précipite jusqu’à Verdi, sous le règne duquel l’opéra italien n’a décidément plus de raison d’être.

Un blond et charmant jeune homme, musicien de génie, à l’âme tendre, émue, un lyrique dont la plume incessamment distille quelque larme, et qui, après avoir avec une fabuleuse rapidité conquis toutes les scènes, s’évanouit subitement au plus beau de son triomphe, un tel jeune homme sera toujours, quoi qu’on dise, une très intéressante apparition, pour les femmes surtout, et l’on sait si, en fait de modes musicales, les femmes ont du crédit. Parmi les physionomies se détachant de la foule des compositeurs italiens, il en est deux qui se ressemblent : Pergolèse et Bellini. Vous croiriez voir deux frères, deux jumeaux : même nature indolente et douce, même attrait romanesque. Les deux figures ne diffèrent que par des conditions d’époque : Pergolèse est un Bellini du rude temps jadis, Bellini un Pergolèse de la libre ère moderne. Chose fort caractéristique, Bellini n’a jamais écrit d’opéra bouffe. Chez un Italien, le cas était sans exemple ; mais à cette âme sentimentale, la gaîté franche, la verve humoristique répugnaient. Guère mieux ne lui convenaient la tragédie, l’élan sublime ; ce qu’il lui fallait, c’était le drame lyrique, ni plus ni moins. Émouvoir, amollir, sa voix douce et languissante n’a d’autre objet. Verdi empruntera plus tard à l’étranger, au Français, au Tudesque abominé, l’art puissant d’un nouveau langage ; mais lui, le dernier des Italiens, il module sa plainte en enfant du pays, jette aux échos le chant du cygne de la patrie musicale qui va mourir et faire place à la patrie politique. Si abondant, si riche, si fécond, s’était épandu d’abord dans le Pirate ce grand flot mélodieux, qu’on s’attendait toujours à des surprises. Les surprises ne vinrent pas. Le malheur