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implorait la faveur de Ferdinand, il pourrait voir sa mère mourante. Il demeura inflexible, Dieu sait au prix de quelles tortures. Du fond du bagne, il dirigeait l’opinion, contenait les impatiens, soutenait les faibles ; il ordonnait d’espérer et d’attendre, — et l’on attendait, on espérait.

C’étaient donc les prisonniers qui gouvernaient Naples, mais c’étaient aussi les exilés. Après 1848, les Napolitains militans furent dispersés un peu partout : Aurelio Saliceti s’enfuit à Paris, Ricciardi à Genève, Roberto Savarese à Pise, Gasparrini à Pavie, les mazziniens à Gênes. Cependant la plupart des émigrés purent se réunir à Turin. Ce petit Piémont, qui paraissait avoir si peu de ressources, se trouva pourtant assez riche et assez grand pour offrir une hospitalité généreuse à tous les proscrits qui venaient lui demander accueil. Nombre de Napolitains s’y étaient réfugiés et acclimatés depuis leur déroute. M. Mancini, l’avocat brillant qui avait rédigé, le 15 mai 1848, la protestation des députés de Naples, était devenu professeur de droit à l’université de Turin. À cette même université, avant 1848, M. Antonio Scialoia avait enseigné l’économie politique ; il était retourné depuis lors à Naples, où il avait été ministre dès sa trentième année ; puis, arrêté, jugé, condamné, proscrit comme tant d’autres, il était revenu à Turin, son pays d’adoption, qu’il ne devait plus quitter. Là s’étaient réfugiés également le poète Imbriani, le philosophe Bertrando Spaventa, le colonel Mariano d’Ayala, écrivain militaire qui venait d’être ministre en Toscane, les avocats Conforti et Pisanelli, qui devaient être plus tard ministres du royaume d’Italie, les médecins Tommasi et de Meis, dont la science et le caractère honoraient doublement l’émigration napolitaine, l’historien Piersilvestro Leopardi, autrefois proscrit à Paris, puis rappelé à Naples et renvoyé deux fois à Turin, la première fois en ambassade, la seconde en exil. Ses Narrazioni storiche, simple récit solidement appuyé sur de nombreux documens, seront toujours consultées par ceux qui écriront l’histoire des dernières révolutions de Naples. Ces émigrés et beaucoup d’autres s’attachèrent au Piémont par un sentiment de reconnaissance que l’habitude et la réflexion changèrent plus tard en un dévouement raisonné. Quand on voyait ce petit pays si pauvre, affaibli par de récens désastres, marcher dans la liberté, dans le progrès d’un pas si ferme et si prompt, se couvrir de chemins de fer et d’écoles, envoyer des soldats en Crimée, entrer dans les congrès des puissances, entreprendre un des travaux les plus étonnans du siècle, la percée des Alpes, contenir enfin la révolution en se jetant devant elle, et arriver à ces résultats par une harmonie admirable entre la fidélité du peuple et la loyauté de son roi, n’était-il pas tout naturel de confier à ce peuple et à ce roi la délivrance de l’Italie ?