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avait une cachette pour les livres préférés, et le soir, quand toutes les portes étaient fermées et qu’il n’y avait plus de visites à craindre, l’homme studieux courait comme l’avare à son trésor. On apprenait tel volume par cœur, afin de lui ménager un abri plus sûr. C’est ainsi que les études continuèrent en dépit de toutes les oppressions et préparèrent des hommes pour l’Italie future.

Quant à l’Italie d’alors, au pape, à Ferdinand II, on n’en attendait plus rien. Le roi boudait dans ses forteresses éloignées, l’élite du pays ne le connaissait plus et ne lui demandait ni réformes ni progrès, pas même des grâces. C’est des bagnes que venait l’exemple de ce découragement volontaire, de cette implacable défiance. C’était un prisonnier, le baron Carlo Poerio, qui gouvernait moralement les patriotes napolitains. Chef d’une famille continuellement opprimée, fils d’un orateur illustre qui avait connu l’exil et le cachot, frère d’un poète véhément qui venait de se faire tuer devant Venise, Carlo Poerio avait été lui-même arrêté, détenu trois fois avant ce soulèvement de 1848, qui vint le chercher dans une prison pour le porter au pouvoir et le jeter ensuite aux galères. On lui mit les fers aux pieds et la veste des forçats, puis on lui offrit plusieurs fois la liberté, s’il demandait grâce. Il refusa toujours, simplement, gravement. En 1852, sa mère était malade, une mère qu’il adorait, une Romaine ; elle avait autrefois suivi son mari dans l’exil ; elle lui avait survécu pour souffrir encore ; elle venait de perdre coup sur coup ses deux fils, l’un tué par les Autrichiens, l’autre enfermé vivant dans une tombe ; il ne lui restait plus rien à sacrifier à l’Italie, elle allait mourir. On promit à Poerio que, s’il

    auteur d’études importantes sur la morale des anciens, ranimèrent un instant la vieille école de Naples. M. Capuano put diriger un journal de droit (Annali di Diritto) ; M. Mann a publié des articles remarquables sur le crédit foncier et le crédit mobilier ; M. Torchiarulo, qui avait déjà traduit la Philosophie du droit de Hegel, publia en italien les livres de Gans ; MM. de Cesare et Raccioppi se firent une place distinguée parmi les économistes. Quelques journaux parurent, notamment la Musica, feuille hégélienne, tolérée à cause de son titre inoffensif. Quelques recueils, le Museo di Scienza e letteratura de M. Stanislas Gatti, la Rivista Sebezia de M. Fabbricatore, laquelle devint, après quelques numéros, l’Antologia contemporanea, le Gianbattista Vico, rédigé en grande partie, sous le patronage du prince de Syracuse, par les moines du Mont-Cassin, inséraient des travaux sérieux d’une véritable valeur. Ce n’était là qu’un moment de répit. La répression recommença bientôt, plus acharnée que jamais, exaspérée par la guerre de Lombardie. La police devint si cauteleuse qu’elle ne permit plus même aux écrivains de louer le pouvoir : l’éloge aurait pu passer pour une ironie ou pour un jugement. M. Pierre Ulloa, maintenant à Rome avec François II, qui a fait de lui son ministre d’état, publiait en 1859 deux gros volumes que nous avons nous-même eu à consulter pour cette étude : Pensées et souvenirs sur la littérature contemporaine du royaume de Naples. Eh bien ! ce livre instructif et ingénieux, bien qu’écrit à la gloire des Bourbons, dut se soustraire, comme les écrits les plus séditieux, à l’inspection de la censure et fut imprimé clandestinement avec cette fausse indication : Genève, Joël Cherbuliez.