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de 1860. C’est sur l’histoire et les conséquences de ce ralliement que notre attention doit maintenant se porter.


II

Après 1848, la lutte entre la nation lettrée et le pouvoir ne fut plus ce qu’elle avait été après 1830. Elle devint implacable. Les hommes qui restèrent en petit nombre à Naples pour y défendre la cause de la pensée ne furent pas les moins malheureux. Le gouvernement supprima les chaires, brûla les livres, exigea des étudians des certificats de confession et de communion, puis finit par les renvoyer dans leurs provinces. Tout ce qui avait du savoir ou du talent fut entouré, surveillé, isolé, parqué çà et là : Tari sur une montagne de la Terre de Labour, De’ Virgilii dans un trou des Abruzzes, Niccola Sole dans un coin de la Basilicate, entre un ruisseau et des peupliers. L’astronome Ernesto Capocci, directeur de l’observatoire, perdit sa place et se réfugia dans un village éloigné ; le physicien Melloni, pour échapper à une surveillance vexatoire, dut également se réfugier à la campagne : il se cloîtra dans une solitude où ne pénétrait aucun bruit du dehors, et y mourut de tristesse. Antonio Ranieri, enfermé dans son cabinet d’avocat, passa dix années de sa vie à se faire oublier. Chacun suivait son chemin à l’écart, dans l’ombre, cachant ses opinions et ses livres, affectant l’insouciance du lazzarone ou l’imbécillité de Brutus, et cela dura jusqu’en 1860, et l’esprit n’est pas mort à Naples ! Voilà pourquoi ceux qui connaissent les Napolitains les aiment. Il faut avoir vécu longtemps parmi eux, avant leur délivrance, dans l’intimité des hommes qui portaient le deuil de leur pays, il faut avoir souffert soi-même, isolé dans ce désert, où les livres, les idées, la vie moderne en un mot, n’entraient pas, il faut avoir subi l’influence de ce sirocco moral, qui vous enveloppait tout entier et vous plongeait dans je ne sais quelle allanguissante inertie, pour rendre justice aux hommes intelligens de Naples, si injustement calomniés en France et méconnus partout. Ils se tinrent debout jusqu’au dernier moment dans leur résistance courageuse, fidèles à la cause de l’Italie et de la liberté ; il y eut de très rares défaillances. Bien plus, dans cet isolement forcé, les études continuèrent. Si l’on resta longtemps sans écrire, c’est qu’il n’y avait plus de journaux sérieux ; si l’on resta longtemps sans enseigner, c’est que toute science était interdite[1] ; heureusement chacun dans son cabinet

  1. A la fin du règne de Ferdinand, l’économiste Bianchini étant ministre, il y eut pourtant un retour de tolérance, et les études de droit particulièrement purent reprendre avec une certaine activité. Quelques cours privés furent permis ; ceux de M. de Blasio, de M. Pepere, de M. Pessina, jeune professeur plein de savoir et de talent,