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du saint-siège ; on poussa Ferdinand II vers cet idéal, on le rendit malgré lui roi-patriote et prince italien. La catastrophe de 1848 fut le résultat de cette aberration fatale. Naples donna le court spectacle d’une monarchie constitutionnelle tempérée par les illusions de quelques hommes de bien. Carlo Troya, Imbriani, Scialoia, Poerio, devinrent ministres. Presque tous les autres, — excepté Antonio Ranieri, qui ne voulut rien être, ne croyant pas à une révolution qui avait éclaté sous la pression de l’idée guelfe et au cri de vive Pie IX ! — presque tous les autres, arrachés violemment de leurs cabinets, durent se jeter dans la vie politique. Des lettrés et des savans, on fit des députés et des sénateurs. Ceux qui chantaient la liberté furent chargés de la proclamer ; ceux qui écrivaient l’histoire furent chargés de la faire. On mit en un mot la littérature au pouvoir ; elle se crut un instant sur le trône : on sait que l’illusion dura peu. Le 15 mai ramena la réaction triomphante. On vit le parlement méprisé, bientôt fermé, le bon plaisir rétabli, les trois couleurs effacées ; puis vinrent les arrestations, les jugemens, les condamnations à mort et les peines capitales, commuées enfin en galères perpétuelles : Poerio, Settembrini, furent envoyés au bagne, Spaventa à l’ergastolo, pire que le bagne, les autres chassés pêle-mêle ; l’idée italienne était en pleine déroute.

Ainsi fut brusquement arrêté à Naples en 1848 ce mouvement intellectuel, ce mouvement italien dont nous avons tâché d’indiquer les premières et principales manifestations. On a vu comment dès 1830 la grande langue unitaire s’était fait jour entre le français des salons et le patois de la rue, comment les idées nationales, importées par les proscrits de 1820 revenant de l’exil, s’étaient répandues dans la jeunesse, comment le néant de l’enseignement officiel avait rendu possibles et même florissans les cours privés, écoles de patriotisme et de libre savoir. On sait aussi comment l’histoire même osa se déclarer à Naples, dès 1841, avant le Primato de Gioberti, contre l’utopie de l’église révolutionnaire, comment la philosophie, éternelle passion des Napolitains, vint hâter l’affranchissement de leurs consciences, comment le congrès de 1845, en surexcitant les esprits, les jeta peut-être hâtivement dans la politique active, comment enfin d’un coup de vent ils furent soulevés en foule et presque aussitôt balayés par la tempête de 1848. Cette dernière épreuve eut du moins cela de bon, qu’elle ouvrit les yeux aux patriotes : ils ne songèrent plus à confier les destinées de la patrie au libéralisme du saint-siège ni à la loyauté du roi Ferdinand, et ils se tournèrent vers le seul prince italien qui se fût battu pour l’Italie, qui eût tenu sa parole. À dater de 1848, tous les esprits, dispersés d’abord, vont se rallier autour de la croix de Savoie et marcher vers la grande campagne