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tour durent abandonner le café. Ils allèrent alors s’asseoir, pour discuter, en face du palais du roi, sur le perron de Saint-François de Paule, « Qui peut redire la joie, les espérances, l’enthousiasme, de ce temps-là ? écrit M. Bertrando Spaventa. Qui peut redire l’affection dont s’aimaient les jeunes maîtres et les élèves, marchant ensemble à la recherche de la vérité ? C’était un besoin irrésistible, universel, qui les poussait vers la splendeur et l’inconnu de l’avenir, vers l’unité organique de toutes les connaissances humaines. Les étudians en droit, en médecine, en littérature, en sciences naturelles, en mathématiques, étaient entraînés dans le mouvement général, et brûlaient avant tout, comme les anciens Italiens, d’être philosophes. C’était un culte, une religion idéale où ils se montraient les dignes descendans de Giordano Bruno. »

L’agitation de ces esprits si fortement remués s’accrut encore après le septième congrès des savans, qui, en 1845, se réunit à Naples. On sait quel était l’objet de ces congrès, dont le premier s’était assemblé à Pise en 1839. Fêtes inoffensives en apparence, où accouraient les hommes cultivés de toutes les parties de l’Italie, convoqués tantôt dans une ville, tantôt dans une autre, par des princes bénévoles qui les traitaient magnifiquement, c’étaient en réalité d’importans conciliabules où les Italiens révoltés venaient organiser une fusion morale, une conspiration de l’intelligence contre le morcellement de l’Italie et le despotisme des souverains. Dans les séances publiques (à Lucques par exemple en 1843), les membres du congrès dissertaient sur la fabrication du vin, la maladie de l’olivier et les rizières. La séance levée, ils se retrouvaient dans des réunions particulières où ils complotaient l’indépendance et la liberté de leur pays. Comment se fit-il donc que Ferdinand II, homme d’esprit et de précaution, toléra chez lui de pareilles assemblées révolutionnaires ? C’est l’audace heureuse du prince de Canino qui enleva d’assaut le consentement royal. On trouvait ce naturaliste révolutionnaire et conspirateur toujours sur pied, toujours en marche, errant d’un bout de l’Italie à l’autre. Il voyait les plus petits et les plus grands, déjeunait chez les rois, soupait chez les patriotes, entrait à la cour et dans les sociétés secrètes ; il avait la foi, l’insouciance, la passion des aventures ; il était prince, il osait tout. En 1843, dans un moment où la police redoublait de rigueur, il débarqua un jour à Naples sans passeport, endossa son uniforme de général de la république de Saint-Marin (uniforme garni d’énormes boutons sur lesquels était inscrit le mot de libertas), et dans ce costume alla se présenter devant Ferdinand pour lui demander la permission de convoquer à Naples le prochain congrès scientifique. Le roi n’eut pas le temps de se fâcher ni de réfléchir, il ne fit aucune objection, et le congrès décidé séance tenante se réunit deux