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combattue que par un très petit nombre d’hommes qui connaissaient le mot de Varchi, c’est-à-dire la pensée de Dante et de Machiavel, et parmi ces hommes deux surtout ont marqué dans le mouvement littéraire contemporain, Gian-Battista Niccolini à Florence, Antonio Ranieri à Naples. Le premier devint fou de colère et de douleur quand il vit ses amis (des Toscans !) se tourner vers l’église. Le second osa soutenir publiquement contre les papes les droits des Lombards, qui étaient à ses yeux les Italiens. Il voulut (je cite à peu près ses paroles) éclairer les voies sombres par lesquelles l’évêque de Rome en était devenu le souverain temporel ; il voulut diminuer, sinon dissiper, les ténèbres où l’ignorance des premiers temps du moyen âge et les rares documens qui nous en sont parvenus avaient laissé les manœuvres du sacerdoce ; il voulut montrer que de ces manœuvres et de ces usurpations étaient dérivés les malheurs de la religion même, les divisions des Italiens, les invasions des étrangers pendant les onze siècles qui suivirent, — et il écrivit à Naples, sous Ferdinand II, avant Carlo Troya, comme pour prévenir la thèse de cet annaliste et la réfuter d’avance, la Storia d’Italia del quinto al nono secolo, c’est-à-dire de Théodose à Charlemagne, ouvrage précis, serré, rapide, où l’historien parcourt, d’un pas si prompt qu’on a peine à le suivre, la période la plus obscure et la plus importante des temps passés, les migrations des peuples, la résurrection de la théocratie, l’enfantement des temps modernes. C’est ainsi que la question italienne, telle qu’elle se débat aujourd’hui (non celle de 1848, mais celle de 1860), fut nettement posée à Naples dès 1841 par Antonio Ranieri.

Ce ne furent point là les seules témérités napolitaines. Les compatriotes de Giordano Bruno, de Telesio, de Campanella, de Vico, se sont lancés de tout temps dans les aventures de la pensée. Naples eut ainsi, dans notre siècle comme dans les autres, non-seulement des poètes et des historiens, mais des philosophes, et, chose étrange, dès 1815, ces philosophes suivirent de loin, mais avec un intérêt passionné, les derniers maîtres de l’Allemagne. Le dominicain Colecchia, moine défroqué qui sous Murat cultivait la philosophie et enseignait les mathématiques sans voir plus loin que Condillac, fut forcé plus tard d’entrer comme instituteur dans une famille qu’il suivit en Russie ; il en revint disciple de Kant. Persécuté par les prêtres, il donna des leçons chez lui, et il écrivit dans le Progresso, c’était un esprit exact et rigoureux, mathématicien même en philosophie. Après lui vint Galluppi, penseur digne de sa réputation, quoique difficile à lire. Son œuvre, qui fut une continuelle réfutation de Kant, atteste par conséquent une continuelle préoccupation du criticisme germanique. Vers la même époque, Pasquale Borrelli publiait sa Généalogie de la Pensée où, quoique