Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/1018

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une mâle tristesse, menait le deuil de la patrie ; Alessandro Poerio, qui devait mourir glorieusement en Vénétie, frappé d’une balle autrichienne, poussait avant l’heure le cri de guerre des Italiens. Saverio Baldacchini portait toujours avec lui, dans sa pensée et dans ses chants, l’image de la terre natale. Il s’écriait dans son beau poème de Claudio Vannini :


« Et je gravis les Alpes helvétiques. Ils me paraissaient beaux, les rochers incrustés de glace, et le profond abîme qui se creusait sous mes pieds, et les tonnerres souterrains des avalanches, et la pesante ténacité des neiges, et l’air piquant et brumeux que je respirais ! — O Méditerranée ! — rives si calmes et chères au soleil ! ô lagunes de Venise parcourues à toute heure par les gondoles légères et par le chant des poètes ! ô collines boisées de Sorrente et d’Amalfi, sur lesquelles couraient de fraîches brises qui aimaient le parfum des citronniers et des orangers ! ô silence des nuits ! quand se pose sur les tombeaux des martyrs et sur tes ruines antiques, ô Rome, le rayon mystérieux des étoiles, il semble, en cette heure solennelle, que, soulagé par une immense espérance, le soupir des siècles, plus pur que l’encens, monte au ciel ! — O souvenirs sacrés de la patrie !… »


Et ce n’était pas le sentiment national seulement, c’étaient les idées les plus larges qui se faisaient jour dans la poésie napolitaine. Un patricien abruzzais, Pasquale de’ Virgilii, poète et voyageur, écrivait à son retour de l’Orient sur Masaniello et les vêpres siciliennes des drames shakspeariens, où quelques exagérations romantiques laissaient voir une imagination puissante[1], et que suivait en 1843 une étrange trilogie, il Secolo Decimonono, dont le héros était un fils de Manfred et un petit-fils de Faust. Il avait composé aussi des poèmes fort admirés même dans l’Italie du nord, un entre autres, il Condannato a morte, qui précéda le Dernier Jour d’un Condamné de Victor Hugo. Si l’on aime les comparaisons, voici un morceau de l’œuvre italienne :


« Cependant l’horloge sonna onze heures. Je compris alors que je venais de faire un songe,… et je tâchai de me rappeler ce que j’avais entendu dire sur le gibet et sur la mort. Je portai mes mains à mon cou, et je le serrai fortement plusieurs fois, comme pour éprouver l’horrible sensation du lacet infâme ; puis je palpai mes deux bras là où la corde devait les lier, et je la sentais passer et repasser jusqu’à ce qu’elle fût serrée et nouée fortement. Et je sentais scier mes deux mains, et la coiffe blanche descendre sur mon visage. Horrible chose, sans laquelle la mort n’eût rien été !…

« Je m’entendis appeler à voix basse. C’était le geôlier. « Il est temps, me dit-il ; prends courage, voici le prêtre. » — Et le prêtre m’exhorta à

  1. Bien plus tard, en 1860, après avoir subi, comme tant d’autres, dix années de persécution, Pasquale de’ Virgilii retournait, comme préfet de Teramo, dans les Abruzzes, et recevait officiellement sur les bords du Tronto le roi Victor-Emmanuel entrant pour la première fois dans ses provinces du midi.