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Le pouvoir fut-il plus heureux contre la presse ? Sans doute la presse souffrit des prohibitions dont elle fut frappée. Là où les questions sérieuses sont interdites, il ne manque jamais d’auteurs légers, toujours prêts, spirituellement inutiles, contant fleurettes d’un air gaillard et cavalier qui amuse les oisifs. Ces bagatelles ont leur importance, elles détournent nombre d’esprits des sujets sévères et dangereux pour le pouvoir, et tout pays où elles attirent l’attention du public n’est assurément pas un pays libre. La petite presse eut une grande vogue à Naples de 1830 à 1848 : elle agitait toutes les questions permises, notamment celle du romantisme, où gaspilla sa verve lyrique un échevelé nécessiteux qui aurait pu avoir du talent, Cesare Malpica. Cette agitation à fleur d’eau n’empêcha point cependant les écrivains dignes de ce nom de continuer leur œuvre. Ils avaient un recueil, le Progressa, fondé par M. Giuseppe Ricciardi, poète et surtout conspirateur, dont la moitié de la vie s’écoula en prison ou dans l’exil. Dans ce recueil, qui passa plus tard sous la direction de M. Bianchini, l’économiste officiel, il était permis de beaucoup sous-entendre et de laisser entrevoir ce qu’on ne disait pas. Enfin quelques livres importans parurent en secret, car la censure n’en eût jamais autorisé la publication. Antonio Ranieri fut le premier qui osa se servir à Naples de la presse clandestine. Son exemple fut bientôt suivi par un certain nombre d’audacieux, parmi lesquels il faut distinguer M. Michèle Baldacchini, historien élégant, prudent philosophe, qui publia sur Masaniello et sur Campanella des livres justement estimés. M. Baldacchini est le premier, à ma connaissance, qui ait introduit les sciences naturelles dans la critique littéraire en essayant de marquer l’influence du sol sur la pensée de l’homme. Ainsi furent déjouées à Naples toutes les mesures du pouvoir. Les études marchaient malgré le néant de l’université officielle, les ouvrages étrangers entraient malgré les douanes littéraires, les livres napolitains paraissaient malgré la police et le clergé. Nombre de lettrés et de savans se formèrent tout seuls en ce pays de fécondité naturelle, où même les pierres des murs abandonnés produisent des touffes de fleurs, où des figuiers tordus et chargés de fruits sortent des crevasses et des lézardes.

Les poètes principalement surgirent en foule, et l’on ne saurait sans injustice passer devant les meilleurs sans indiquer au moins leurs noms. La muse lyrique inspira de nobles vers aux deux frères Arabia, à Campagna, à Bolognese, à Niccola Sole, mort trop jeune, à quelques femmes, Laura Mancini, Maria-Giuseppe Guacci, Giannina Milli. La muse populaire fit bon visage à bien des poètes élégans, parmi lesquels on a distingué Achille de Lauzières, Giulio Genuino, Parzanese. Enfin la grande muse nationale commençait à gronder sourdement : Paolo-Emilio Imbriani, dans ses vers empreints