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contraire, contiennent la certitude d’un entier anéantissement ; elles regardent le temps où nous avons vécu comme un éclair d’existence entre deux infinis de néant. « Je n’étais pas, je ne suis plus, disent-elles sans tristesse, non fueram, non sum. » Et les plus résignés ou les plus malheureux ajoutent : « Et je ne souffre plus, non doleo. »

Nous saisissons là sur le vif l’opinion de l’antiquité à propos de la vie future. Il me semble que lorsqu’on la connaît, il devient plus facile de comprendre les contradictions de Cicéron. Je ne crois pas qu’il ait voulu abuser personne, ou qu’il se soit tout à fait abusé lui-même. Comme il avait l’imagination naturellement portée vers les grandes choses, cette noble doctrine de Platon lui convenait. Son esprit l’avait adoptée, mais elle n’était pas allée plus loin que son esprit. Ce n’est pas la même chose d’être convaincu par la raison de la vérité d’un principe, ou de s’en pénétrer profondément et de le faire entrer dans sa vie. Que de gens se disent convertis à une croyance et la défendent sincèrement, qui, en attendant qu’elle ait pu jeter en eux ses racines, pensent et vivent comme s’ils en suivaient une autre ! C’est ce qui arrive à Cicéron. La doctrine de Platon et le sentiment religieux qui en est la suite sont restés chez lui à la surface. En réalité, il n’a pas su se débarrasser de cette tyrannie de l’opinion commune qui règne encore sur nos habitudes après que nous l’avons chassée de notre esprit, et à laquelle notre vie continue d’être soumise, même quand nous en avons délivré notre raison. Je me figure donc, en lisant ses lettres, qu’il y avait dans la société romaine de ce temps un fonds d’indifférence pour tout ce qui touchait aux questions religieuses, peu d’empressement à s’occuper de l’existence ou de la nature de Dieu et une grande incrédulité à l’endroit de l’autre vie. Quelques personnages d’élite avaient bien essayé d’établir d’autres doctrines, mais ce n’était guère que dans leurs écrits qu’ils affectaient de ne pas penser comme le vulgaire. Ils reprenaient les opinions de tout le monde quand ils étaient rentrés dans la vie commune.

C’est précisément le contraire qui arrive au XVIIe siècle. Il y avait alors un grand courant religieux, et les esprits isolés qui essayaient d’y résister par libertinage de conduite ou indépendance d’opinion finissaient presque toujours par se laisser vaincre. Nous avons vu que dans l’antiquité les plus croyans n’étaient point toujours d’accord avec eux-mêmes parce qu’ils subissaient à certains momens l’incrédulité générale ; ici ce sont les incrédules qui se contredisent, parce qu’ils cèdent, sans le vouloir, à la foi commune. Cette société, en apparence si riante et si futile, était tourmentée au fond par les inquiétudes de l’avenir. Ce problème redoutable, si facilement éludé par les Romains, se pose presque à chaque instant chez elle. Quoique la vie présente l’attire et la retienne par ses agrémens,