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ne pensent pas quitter. C’est ce qui explique le soin minutieux qu’ils prennent pour s’en assurer la possession exclusive. On commence par se la préparer d’avance et de son vivant, les héritiers sont si négligens ! Pour être plus sûrs de la conserver, les riches construisent de petites habitations autour d’elle et y logent des gardiens. Ceux qui ne peuvent pas se permettre ce luxe posthume ont recours à des menaces terribles pour effrayer les spoliateurs. « Que celui qui aura violé cette sépulture, disent-ils, périsse le dernier des siens ! » Les pauvres gens sont plus humbles et se contentent de supplier. « Laboureur, dit un affranchi qui s’est fait enterrer au bord d’un champ, prends bien garde, c’est ici que je repose. » Toutes ces précautions prouvent bien qu’on regardait cette demeure comme un séjour définitif ; on n’aurait pas pris tant de peine, si on avait cru qu’on en sortirait. Ce qui le montre encore mieux, c’est le peu de gravité de la plupart de ces inscriptions. Quand on se sent en présence d’une éternité qui commence, il est naturel que les plus futiles se recueillent ; or il n’y a presque jamais de trace de ce recueillement dans les épitaphes antiques. Plusieurs même ne contiennent qu’un appel au plaisir. La seule morale qu’elles tirent de la fragilité de la vie, c’est qu’il faut s’amuser vite, puisqu’on ne peut pas s’amuser longtemps. « Amis, disent-elles, tandis que nous vivons, vivons ; amici, dum vivimus, vivamus. » Mais on a beau faire. La mort fait peur aux plus fanfarons. On ne se résigne pas sans un frisson à ce silence et à cet isolement éternels. Aussi trouve-t-on sur quelques tombes la trace des efforts qu’on faisait presque malgré soi pour se rattacher de quelque manière à la vie. On lit sur celle d’un certain Lollius « qu’il l’avait fait mettre au bord d’une route pour qu’on pût lui dire en passant : adieu, Lollius ! » c’est-à-dire pour que quelque bruit de la vie arrivât encore jusqu’à lui. Voilà pourquoi les sépultures antiques étaient placées le plus souvent sur les grands chemins. La voie Latine et la voie Appienne en sont bordées à Rome, et c’est entre deux rangées de tombeaux que le voyageur entre encore aujourd’hui dans Pompéi. Sur ces tombeaux, tantôt, c’est le mort qui parle et qui salue le passant en se recommandant à son souvenir, tantôt au contraire c’est le passant qui est censé saluer le mort de cette formule si connue : « que la terre te soit légère ! » Mais dans ce dialogue funèbre nulle part on ne voit poindre l’idée d’une autre vie. Elle n’est ni dans les plaintes du mort, ni dans les consolations du vivant, et pourtant il semble que dans les deux cas l’occasion se présentait naturellement de l’exprimer. Elle se retrouverait de quelque façon sur ces tombeaux, si elle avait jamais été dans le cœur ou dans l’esprit de ceux qui les élevèrent. Or il est très rare qu’on rencontre dans ces inscriptions la plus vague, la plus incertaine allusion à la persistance de la vie. Beaucoup, au