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qui les rattache aux populations moins riches de l’intérieur, et sous prétexte de je ne sais quelle liberté, ils réclament la jouissance exclusive de leur budget des douanes. Désireux de profiter eux-mêmes de tous les avantages du commerce, ils acceptent de très mauvaise grâce le fait désormais acquis de la libre navigation des rivières, et jettent des regards malveillans sur les jeunes cités qui grandissent aux bords de l’Uruguay et du Parana ; ils voient des ennemis dans les négocians de Montevideo et des autres villes de la Bande-Orientale, et l’on dit même qu’ils s’opposent en secret à la fondation d’importantes colonies commerciales aux embouchures des rivières du sud, le Rio-Colorado et le Rio-Negro, dans la crainte que ces colonies ne deviennent un jour des rivales de Buenos-Ayres.

Lors de la dernière brouille de la capitale avec les provinces, celles-ci adoptèrent une loi frappant d’un droit supplémentaire de 18 pour 100 toutes les marchandises de provenance étrangère qui n’auraient pas été importées directement dans un des ports de la confédération. Cette mesure fiscale, qui causa le plus grand tort au commerce de Buenos-Ayres, pourrait être appliquée de nouveau dans des circonstances semblables, et la simple menace du rétablissement de ces droits différentiels suffit pour entretenir une irritation constante parmi les portenos[1]. Pour apaiser les rancunes, il a fallu, dans un grand nombre de cas, abandonner le terrain des principes et recourir à des expédions provisoires. Buenos-Ayres, qui est à la fois la grande cité commerciale et le siége du gouvernement, c’est-à-dire le New-York et le Washington de la république argentine, offre le triple caractère de commune, de capitale de province et de chef-lieu de la confédération ; elle réunit en même temps dans ses murs une législature provinciale et le congrès de la nation, qui sont très souvent en désaccord sur des questions brûlantes. Eu égard à l’importance des sommes versées au trésor fédéral par la douane de Buenos-Ayres, cette ville s’est fait garantir le droit de prélever chaque année sur les ressources nationales une somme de 1,200,000 piastres fortes, c’est-à-dire exactement cent fois plus que l’allocation accordée à chaque province ; mais ce privilége expire en 1865. Si l’on désire éviter quelque rupture, il faudra probablement se résoudre à un nouveau compromis en garantissant des subsides annuels à l’état de Buenos-Ayres et aux diverses provinces de la confédération. En outre plusieurs questions des plus graves, qui pourraient donner lieu à de dangereuses discussions, sont prudemment écartées. Ainsi le

  1. Habitans du port. C’est le nom qu’on donne dans toute l’Amérique espagnole aux citoyens de Buenos-Ayres.