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lasses à bon droit de la dictature de Buenos-Ayres, proclamèrent leur autonomie. Malheureusement les rancunes, les vengeances personnelles, les rivalités et l’inexpérience des hommes d’état perpétuèrent le désordre ; les décisions du congrès unitaire de 182/i ne firent que l’aggraver, et l’exécution d’un gouverneur de Buenos-Ayres, Dorrego, vint mettre le comble à la fureur des partis. La guerre se propagea comme un incendie à travers toute l’étendue de la république, et pendant trois années, de 1829 à 1831, l’histoire des provinces de la Plata n’est autre chose que le récit d’affreux massacres.

Les fédéralistes l’emportèrent ; mais dans la hideuse mêlée le sens des mots s’était perdu, et les chefs militaires, devenus par le droit de leur épée les interprètes de la constitution, répétaient par habitude ou par hypocrisie les cris de ralliement qui leur avaient mis les armes à la main. Le sanguinaire Rosas, maître absolu de la république et de la vie des citoyens, se disait toujours le représentant de l’idée de fédération, mais uniquement afin de pouvoir insulter ses ennemis comme « infâmes et immondes unitaires, » et les égorger avec impunité. Ayant à ses gages une bande d’assassins, il fait poignarder ou fusiller tous ceux qui le gênent, surtout les hommes d’intelligence ; il ne respecte ni les frontières des états voisins, ni les traités en vigueur, ni la foi jurée ; il se rit des menaces de la France et de l’Angleterre, et durant plus de vingt ans il garde la dictature sous prétexte de défendre la patrie contre les intrigues des partisans de la centralisation. Néanmoins bien des progrès s’étaient accomplis dans les esprits pendant ces vingt années : l’instruction, le commerce, l’industrie s’étaient développés ; les populations, assistant de loin aux grands événemens de l’histoire contemporaine, avaient gagné en sens politique, et les Argentins réfugiés en France, au Chili, dans la Bande-Orientale, avaient utilisé leurs loisirs forcés pour étudier sérieusement les questions. Lorsque Rosas tomba, vaincu par Urquiza, l’un de ses anciens lieutenans, la conduite des vainqueurs témoigna des heureux changemens qui s’étaient opérés dans les mœurs et dans les idées depuis les grandes guerres civiles. De cette époque date une nouvelle ère pour la république argentine.

La nouvelle constitution fédérale, votée en 1853 par les députés réunis à Santa-Fé et légèrement modifiée en 1861, est sans aucun doute l’une des chartes nationales qui méritent le plus d’être étudiées par les hommes politiques. Ainsi que le porte le préambule, elle a pour but de « constituer l’unité de la nation, de maintenir la justice, de consolider la paix intérieure, de pourvoir à la défense commune, de travailler au bien-être général et d’assurer les bienfaits de la li-