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est très considérable, grâce à la suppression des monopoles, à l’abolition de l’esclavage, au maintien de l’indépendance républicaine, à tous les avantages moraux et matériels que procure la liberté, même incomplète. Ces progrès étonnans eussent été bien plus grands encore, si la guerre n’avait pas tant de fois désolé les républiques du Rio de la Plata, et surtout les deux états situés face à face sur les bords de l’estuaire. Durant de longues années, une grande partie de la population de Buenos-Ayres et de Montevideo était forcément nomade, et pour éviter, soit la tyrannie d’un Rosas, soit les horreurs d’un siége de neuf ans, des milliers d’habitans devaient s’expatrier pour chercher un refuge dans l’une des deux capitales ou dans toute autre ville des provinces riveraines. En outre, des batailles sanglantes, des massacres horribles, ont eu lieu ; mais tous ces événemens déplorables n’ont pu que retarder et non point arrêter les progrès de la population. Pendant les cent dernières années, la contrée magnifique où les jésuites avaient fondé leur théocratie modèle est le seul territoire qui ait été presque complètement dépeuplé. C’est que les Guaranis avaient été benoîtement élevés par les révérends pères dans une servitude physique et morale absolue. N’ayant, à vrai dire, ni la propriété de leurs champs, ni celle de leur corps et de leur âme, éloignés soigneusement de tout contact avec les blancs ou les métis, émasculés en quelque sorte par une stupide obéissance et par des pratiques superstitieuses, ces pauvres indigènes abêtis avaient perdu toute force de résistance. Dépourvus de la moindre initiative, ils n’ont pas su repousser les attaques des Mamelucos portugais, ni plus tard celle des Brésiliens du Rio-Grande. Ceux d’entre eux qui ont survécu, habitués à tout attendre de la charité d’un maître ou des faveurs de la Providence, ne savent plus que mendier et mourir de faim.

Si les contrées où les jésuites avaient établi leur gouvernement par excellence n’offrent plus de nos jours, au milieu des sites les plus gracieux, que des ruines d’églises et des groupes d’Indiens faméliques, en revanche les rudes populations de métis qui habitent les autres régions des républiques de la Plata s’accroissent avec une singulière rapidité, en dépit de toutes les discordes et de toutes les luttes occasionnées par le choc de leurs passions et leur inexpérience politique. M. Martin de Moussy a constaté, par une étude comparative de plusieurs centaines de registres, que dans la république argentine le nombre moyen des naissances est double de celui des décès. En certains états, notamment dans ceux de Cordova et de San -Luis, la proportion des naissances aux morts est même beaucoup plus considérable, et l’on comprend quelle importance a ce fait dans un pays où, comme à Cordova, chaque famille