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se noient ; les grands animaux, surpris par l’inondation dans les îles, les jaguars, les chevreuils, cherchent à gagner la rive, et parfois, trop fatigués pour l’atteindre, s’arrêtent au milieu des amas de débris que le fleuve emporte vers la mer. C’est ainsi qu’en 1825 et en 1858 des marins ont péché des jaguars en plein estuaire de la Plata, et que des chasseurs ont tué de ces pauvres animaux naufragés aux portes mêmes de Buenos-Ayres et de Montevideo.

Les diverses bouches du Parana et le puissant Uruguay, qui s’unit au cours d’eau principal près de l’île de Martin-Garcia, forment ensemble le vaste estuaire ou Rio de la Plata, qui est en même temps une embouchure fluviale et un golfe de la mer. Cette masse énorme d’eau, douce en amont, salée en aval, n’a pas moins de 250 kilomètres d’ouverture de Maldonado au cap San Antonio, et, gardée d’un côté par Montevideo, de l’autre par Buenos-Ayres, s’avance à 300 kilomètres dans l’intérieur du continent. C’est là une magnifique avenue marine pour toutes les régions arrosées par les fleuves tributaires, et notamment pour la longue presqu’île comprise entre l’Uruguay et le Parana. M. Martin de Moussy a donné à ce territoire, formant les provinces d’Entre-Rios et de Corrientes, le nom de Mésopotamie argentine, et cette désignation est d’autant plus exacte que, dans la partie septentrionale de la province de Corrientes, la vaste lagune d’Ibera, qui sert de réservoir aux pluies et aux inondations, envoie ses eaux d’écoulement aux deux fleuves à la fois, au sud-ouest vers le Parana, au sud vers l’Uruguay. En diverses parties de ces provinces, les marécages, les anciennes coulées d’inondation, les savanes noyées sur des espaces de plusieurs milliers de kilomètres carrés, sont un grand obstacle à la colonisation et à la culture ; mais la force de production du sol émergé, la facilité de communications qu’offrent les voies fluviales, le voisinage des grandes cités du littoral maritime, l’heureux climat qui fait prospérer à la fois les plantes de la zone tropicale et celles de la zone tempérée, enfin l’étendue des forêts, très rares dans les autres provinces de la Confédération Argentine, assurent le plus brillant avenir à cette riche Mésopotamie du Nouveau-Monde.

Au nord de l’état de Corrientes se prolonge vers l’équateur une deuxième péninsule, occupant une position non moins favorable. C’est la république indépendante du Paraguay, comprise entre le fleuve de ce nom et la grande courbe orientale du Parana. Cette contrée, salubre entre toutes, jouit à la fois des avantages des pays continentaux, puisqu’elle est située au centre de l’Amérique du Sud, et des priviléges des régions du littoral, car les navires calant 4 mètres d’eau peuvent remonter pendant une moitié de l’année jusqu’à la jonction des deux grands fleuves, à 1,500 kilomètres de l’Océan.