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pente totale ne dépasse pas 35 mètres, il a suffi de construire à la sortie une cheminée d’appel qui aspire ces gaz ; mais sur le côté nord, qui s’élève vers le centre de la montagne par une pente de plus de 135 mètres, il aurait fallu donner à la cheminée d’appel des proportions impossibles. M. Sommeiller a inventé une machine nouvelle, une sorte de pompe aspirante, qui va être établie à l’entrée et pompera l’air vicié du tunnel par un conduit en planches passant sous la clé de voûte. On se demande encore si l’élément vital, l’air comprimé, pourra être envoyé en quantité suffisante. La consommation qu’on en fait est énorme. Il en faut non-seulement pour donner le mouvement aux machines, mais chaque bec de gaz allumé, chaque kilogramme de poudre brûlée, chaque poitrine qui respire en demande par minute, par heure et par jour des quantités que la science a mesurées exactement, et dont le chiffre total ne laisse pas d’inspirer des appréhensions. Plus on s’éloigne du grand réservoir d’air qui environne la terre, plus il faut en envoyer dans le tunnel. On estime que la quantité nécessaire en vingt-quatre heures augmente de 20,000 mètres cubes par kilomètre d’avancement. C’est dans la prévision de ces nouveaux besoins d’air que sont construits ces grands récipiens d’une capacité de 150 mètres cubes, qu’on augmente le nombre des compresseurs à pompe, qu’on établit une nouvelle conduite d’air à côté de la première. M. Sommeiller déclare dans son rapport qu’à l’aide de ces moyens nouveaux il enverra dans le tunnel autant d’air qu’il en faudra, 600,000 mètres cubes et même un million en vingt-quatre heures, si la nécessité s’en fait sentir.

On ne peut calculer les chances de cette grande œuvre sans se dire qu’il faudra compter avec plus d’un obstacle imprévu. Tout ce qu’un esprit impartial peut en penser et en dire, c’est que ces obstacles seront abordés, s’ils se présentent, avec la même énergie, le même courage qui a triomphé jusqu’à présent des difficultés prévues. M. Sommeiller ne doute pas du succès final, et il sait communiquer sa confiance au personnel qu’il dirige, aux étrangers qui l’abordent. Il place à une époque fixe le couronnement de ses efforts. Récemment même, devant un congrès scientifique, il laissait entrevoir le moment glorieux pour lui, heureux pour les deux grandes nations assises au pied des Alpes, où les deux sections du tunnel se rencontreront au centre de la montagne. Déjà son imagination lui montrait le dernier mètre de roche emporté, et sur la brèche un salon tout resplendissant de la lumière des becs de gaz, où la France et l’Italie étaient invitées à venir célébrer sous la voûte des Alpes, à 1,600 mètres de profondeur, le triomphe du génie de l’homme sur la nature.