Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/825

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

proposait de publier. Du moins l’exemple donné par le pelletier de Thames-street (Londres) ne fut point perdu, et aujourd’hui les documens abondent; les plus précieux sont naturellement ceux qui remontent à la plus haute antiquité. Il doit suffire ici de les indiquer en quelques traits. Les quatre plus anciens bardes connus sont Aneurin, Taliesin, Merddhyn et Llywarch Hen.

Aneurin, qu’on suppose avoir vécu de 510 à 560 après Jésus-Christ, et que les Welshes ont surnommé le « roi des bardes, » était, d’après la tradition, le chef de la tribu des Ottadini. Élevé tout jeune au métier des armes, il se distingua dans plusieurs batailles. Il assistait au combat de Cattraeth, où les Bretons furent vaincus par les Saxons. A la suite de cette sanglante défaite, il fut fait prisonnier de guerre et enfermé, dans un donjon où il passa plusieurs années dans les chaînes. Délivré plus tard par le fils d’un autre barde, il se retira dans le sud du pays de Galles et chercha un refuge au fond d’une chaumière où il composa le Gododin[1]. Le sujet du poème, le plus long qui existe dans la langue welshe, est cette calamiteuse bataille de Cattraeth, dans laquelle le poète avait payé de sa personne et avait vu tomber ses meilleurs compagnons d’armes. Il raconte en vers élégiaques les tristes circonstances de la déroute, qu’il attribue à l’intempérance des Bretons; ceux-ci avaient été « entraînés à combattre sous l’influence des coupes trop pleines. » Des trois cent cinquante-trois hommes qui accompagnaient le barde sur le champ de bataille, quatre seulement échappèrent au tranchant du glaive, et lui-même ne dut la vie qu’à son caractère sacré. Dans tout ce poème règne une inspiration sauvage ; les scènes de massacre et de désolation, le fracas des boucliers contre les boucliers « semblable au bruit du tonnerre, » le choc des hommes d’armes « teignant d’un bleu d’acier les ailes blanches de l’aurore, » les noms et les vertus martiales des héros dont la mort « fait trembler une larme aux cils de plus d’une mère, » tel est le thème un peu monotone sur lequel cet Ossian du pays de Galles chante ses vers rudes et mélancoliques. Les bardes bretons, différens en cela des scaldes du Nord, qui excitaient sans cesse au carnage, se considéraient eux-mêmes comme des messagers de paix, et tout en célébrant avec un sombre enthousiasme les horreurs de la guerre s’efforçaient du moins d’arrêter l’effusion du sang. La légende veut qu’Aneurin ait été tué vers 570 par la hache d’un assassin.

C’est dans la même période à peu près, de 520 à 570, que Taliesin prit rang parmi les bardes gallois. Ce qu’on croit savoir de sa vie ressemble beaucoup à un roman. La langue welshe possède un grand

  1. Une traduction en anglais du Gododin fut publiée en 1820 par M. Probert.