Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/736

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore a pour spécialité les clefs de montre, les cachets ou les porte-mousqueton. Il en est de même de l’ébénisterie. Tel ébéniste ne fait que le genre Boule, tel autre se confine dans le gothique. Les ébénistes à la trôle, c’est-à-dire ceux qui n’ont ni magasins ni commandes, et colportent leurs meubles à mesure qu’ils les ont faits, s’en tiennent ordinairement à un meuble unique. Ainsi ils font un lit et le vendent, puis un autre lit, et ils le vendent encore; puis ils recommencent un troisième lit : jamais ils ne feront une table ou une commode. S’ils prennent un apprenti, c’est évidemment pour lui apprendre à faire un lit, puisqu’ils ne savent faire que cela. Ces ouvriers en lits, ou en tables, ou en commodes, ne s’appellent pas, à proprement parler, des ébénistes. On a inventé depuis quelques années des machines qui coupent toutes les pièces d’un meuble. Un industriel achète ces pièces en nombre à vil prix; il ne s’agit plus alors que de les agencer, c’est comme un jeu de patience. Le meuble ainsi fait ne vaut rien pour l’usage; il a bonne mine le premier jour, et peut se livrer pour presque rien. Après trois ans passés dans une maison où l’on travaille de la sorte, un enfant ne sait pas même manier un rabot ou une scie; cependant il est censé avoir fait un apprentissage d’ébéniste ! Au fond, il a perdu trois ans de sa vie; mais personne ne l’a trompé, puisqu’il aurait dû savoir où il entrait. Est-ce un abus? est-ce un malheur? Les exemples de cette sorte abondent dans la plupart des industries; ils sont innombrables dans la fabrication des cuirs et peaux.

C’est une chose étrange, et pourtant vraie, que l’apprentissage dans ces maisons où l’on n’apprend rien ne se fait pas toujours à des conditions avantageuses pour l’apprenti. Pour beaucoup de pères et de tuteurs, ne rien payer est la question principale. Ce n’est pas toujours par défaut de tendresse. À cette condition indispensable de ne rien payer, ils se montrent faciles sur la nourriture, le logement, l’entretien, et même sur l’utilité et les avantages du métier. A Paris, le plus grand nombre des apprentis, 8,904 garçons et 2,762 filles, en tout 11,666 enfans, logent chez leurs patrons; 5,257 garçons et 2,819 filles, en tout 8,076 enfans, restent dans leur famille : ces derniers appartiennent pour la plupart à la grande industrie. Outre cette différence essentielle, il y a tant de variété dans la manière dont les enfans sont traités, dans les services qu’ils rendent par leur travail, dans la durée et le prix de l’engagement, qu’il est impossible d’arriver à se former une idée un peu générale. Voici quelques détails sur les conditions de l’apprentissage dans deux ou trois industries très répandues. Nous les prenons au hasard, et nous les donnons seulement comme preuves de la grande diversité des usages locaux.

A Paris, dans l’industrie de la peau, les tanneurs ne forment pas