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médailles, envoyer des délégations à Londres et à Berlin, fonder des musées industriels, créer des écoles, réformer nos lois, notre batellerie, nos messageries : tout cela est excellent; le grand secret, le véritable secret de la supériorité d’un peuple, c’est la bonne organisation de l’apprentissage. Il faudrait que le gouvernement, ou une académie, ou une société industrielle fît faire une enquête sur cette question. Il est impossible à la statistique de s’orienter dans ce dédale, si elle n’a pas à sa disposition toutes les ressources d’une commission d’enquête. L’apprentissage varie de place en place, et presque d’atelier en atelier. Au milieu de renseignemens contradictoires, voici ce qui surnage : c’est que, dans un grand nombre de maisons, l’apprenti fait un service de domestique. Il nettoie l’atelier et les outils, il fait les courses. S’il apprend son état, c’est par hasard et en regardant par-dessus l’épaule des compagnons. C’est là un stage plutôt qu’un apprentissage. D’un atelier ainsi tenu, il ne peut sortir que des ouvriers incapables, si même il en sort des ouvriers. Quand un enfant a porté des boîtes et des cartons, du matin au soir, dans tous les coins de Paris, pendant trois ans, à quel métier est-il bon, si ce n’est à celui de commissionnaire? Dans d’autres états, où il n’y a pas de courses à faire, on met l’enfant à un établi, et il apprend au moins quelque chose; mais alors il arrive trop souvent que le patron en fait un spécialiste, ce qui rend son savoir très court et très peu productif. Par exemple, un enfant veut être bijoutier. S’il entre dans une bonne maison, et sous la direction d’un patron honorable, on lui fera faire successivement des chaînes, des anneaux, des épingles, des bijoux montés, il apprendra à graver, à sertir, à polir; en un mot, il deviendra un bijoutier, et, son apprentissage fini, il pourra se présenter avec confiance dans les meilleures maisons et aspirer à un bon salaire. En revanche, il n’aura rendu que très peu de services au maître, parce que, passant sans cesse d’un genre de travail à un autre, et quittant une partie aussitôt qu’il y excelle, il ne peut être, pendant la durée de l’apprentissage, qu’un ouvrier médiocre. S’il tombe au contraire dans les mains d’un patron peu scrupuleux, qui ne cherche qu’à l’exploiter, le moyen est en vérité facile. Il consiste à lui faire faire indéfiniment un seul genre d’ouvrage; en deux ou trois mois, il le fera aussi bien et aussi vite qu’un compagnon, surtout si on ne lui met jamais autre chose en main pendant la durée de ses trois années. Le résultat de cette manœuvre est que le patron a eu pendant trois ans un ouvrier pour rien, et que l’apprenti, habile dans cette spécialité et ignorant tout le reste, ne trouve que de l’ouvrage mal rétribué, et le trouve difficilement. Il y a même des ateliers fondés sur ce principe : on dirait, à les voir, que c’est une école; au fond, c’est