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rement engagés comme apprentis, sont cependant traités comme tels par les patrons? Oui sans doute, quoique l’omission d’une formalité si importante et si facile à remplir indique beaucoup de négligence dans les pères de famille et soit d’un mauvais augure pour la surveillance exercée par eux sur le travail et la conduite de leurs enfans. En revanche, les contrats d’apprentissage les plus réguliers et les mieux rédigés ne sont pas toujours une barrière suffisante contre les abus. Si quelques maîtres humains et intelligens sont de véritables pères pour leurs apprentis, beaucoup d’autres ne songent qu’à tirer le plus grand parti possible de leur travail, sans souci de leur santé, de leurs mœurs et de leur instruction. Nul ne peut s’en étonner en se rappelant qu’il suffit d’exercer un métier pour avoir le droit de prendre des apprentis.

L’article 6 de la loi de 1851 est ainsi conçu : « Sont incapables de recevoir des apprentis les individus qui ont subi une condamnation pour crime, ceux qui ont été condamnés pour attentat aux mœurs, ceux qui ont été condamnés à plus de trois mois d’emprisonnement pour les délits prévus par les articles 388, 401, 405, 406, 407, 408, 423 du code pénal, » c’est-à-dire pour divers délits de vols, détournemens, abus de confiance et tromperie sur la nature ou la qualité des marchandises vendues. Sauf ces incapacités, qui même peuvent être levées, après un certain temps, par les préfets des départemens ou par le préfet de police à Paris, tout ouvrier peut recevoir un jeune enfant dans son atelier et dans sa maison, le loger, le nourrir, se substituer, pendant deux, trois ou quatre ans, à tous les droits et à tous les devoirs du père de famille. L’atelier peut être composé de repris de justice et de femmes perdues; le maître lui-même peut avoir été condamné pour vol, pourvu que la condamnation ait été de moins de trois mois; il peut être brutal, ignorant, débauché ; il peut avoir une femme ou un fils, partageant, au moins par le fait, son autorité sur l’apprenti, sans que la loi ait prévu le cas où cette femme aurait été condamnée à une peine infamante. Que deviendra un enfant dans un milieu pareil? Sur quels soins peut-il compter? Quelle éducation peut-il recevoir? La loi accumule les précautions quand il s’agit de choisir un instituteur; est-il nommé, l’administration le surveille tous les jours, à toute heure; à la moindre faute contre l’honneur ou les bienséances, il est impitoyablement destitué, et tout cela est juste. Cependant il n’est jamais seul avec un de ses élèves, il ne les voit, pour ainsi dire, qu’en public; il ne les garde que cinq ou six heures par jour, tandis que l’apprenti est livré corps et âme, jour et nuit, au patron pendant toute la durée de l’apprentissage. On est obligé, en l’absence de toute précaution législative, de se reposer, pour le choix d’un