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toutes les vieilleries de la terre. C’est là ce qu’il appelle « l’accord de la pensée moderne avec la haute antiquité. » Ce qu’il y a de nouveau, d’essentiellement progressif, c’est le christianisme, toujours vivant, que le monde d’aujourd’hui n’est pas venu abroger, qu’il vient accomplir, et dont l’empreinte profonde reste marquée dans toutes ses œuvres. Est-ce que la révolution française elle-même n’est pas une des plus grandes émanations du christianisme, que vous croyez fini, ou plutôt que vous représentez comme n’ayant jamais été qu’un messager de stérilité et de mort? Tout ce qui dure, tout ce qui survit de la révolution comme une conquête définitive, tout ce qui en a fait un des événemens les plus universels, c’est ce qui était chrétien; ce qui s’en est allé au contraire, c’est ce mélange de naturalisme et de résurrections artificielles, de fêtes païennes et de constitutions lacédémoniennes. Est-ce que la pensée chrétienne n’est pas comme un souffle vivifiant au fond de tout ce qui se fait pour adoucir la loi sociale par l’équité, par le respect de la liberté humaine, pour introduire l’égalité parmi les hommes, pour les rapprocher par la solidarité? Est-ce que la fraternité n’est pas en définitive le nom laïque d’une idée chrétienne? C’est l’inspiration qui est devenue le sel de la terre. Et quand les esprits s’échauffent de toutes parts sur cette simple question de la division des pouvoirs, de la distinction entre la puissance religieuse et la puissance civile, entre le spirituel et le temporel en un mot, d’où procède cette pensée? Elle vient tout droit de la contrée aux petits lacs, de ce petit docteur dont M. Michelet fait le rêve, l’amusement des femmes hystériques de son temps, des « dames agitées, possédées,... malades de leur vie impure, » car il faut bien que la maladie de la femme revienne toujours avec M. Michelet. C’est par le christianisme, et c’était alors une chose étrangement nouvelle, qu’est proclamée pour la première fois cette loi qui abolit la confusion absolutiste des deux pouvoirs, qui affranchit la conscience des dominations extérieures, et qui n’est même pas accomplie encore aujourd’hui. Le monde moderne a cela de particulier vraiment qu’il est plus chrétien qu’il ne le croit lui-même quelquefois, plus chrétien assurément que l’auteur de la Bible de l’humanité ne le suppose, plus chrétien aussi que ne le pensent ceux qui, du haut d’une étroite interprétation, veulent l’arrêter à chaque pas, à chaque progrès, en l’accusant d’être un grand révolté. Tout est là : il n’est pas venu abroger, mais accomplir, par l’abolition de toutes les servitudes, de toutes les iniquités tyranniques.

Et ce qu’il y a de curieux, c’est que le christianisme comme inspiration ne vit pas seulement d’une façon générale dans le mouvement continu de la civilisation: il vit chez ceux-là mêmes qui