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sent quelque parenté avec le génie brahmanique. Sur la Grèce, — quoiqu’elle soit petite, — sur ses traditions, ses légendes et toute cette germination poétique de dieux qui illumine le ciel hellénique, il y a des pages d’une sagacité inventive et pittoresque.

Quant à la pensée, elle est assez difficile à définir, à moins qu’il ne faille la voir dans cette boutade de l’auteur, qui, en quittant les ombrages immenses et les grands fleuves de l’Inde, trouve que « les petits lacs de Galilée » sont assez pauvres, et estime qu’il les boirait d’un coup. C’est là au fond, dans une image humoristique, la triste pensée de ce livre, qui n’est plus qu’une vaine puérilité lorsqu’il touche à tout ce qui est chrétien. En réalité, il est fait pour supprimer, pour évincer tout uniment le christianisme, et ce n’est pas moi qui le dis, c’est M. Michelet qui, en traçant la généalogie morale de la race humaine, dit avec une naïveté d’inventeur : « De l’Inde jusqu’à 89 descend un torrent de lumière, le fleuve de droit et de raison. La haute antiquité, c’est toi. Et ta race est 89. Le moyen âge est l’étranger. La justice n’est pas l’enfant trouvé d’hier, c’est la maîtresse et l’héritière qui veut rentrer chez elle, c’est la vraie dame de maison. Qui était avant elle? Elle peut dire : J’ai germé dans l’aurore, aux lueurs des Vêdas. Au matin de la Perse, j’étais l’énergie pure dans l’héroïsme du travail. Je fus le génie grec et l’émancipation par la force d’un mot : « Thémis est Jupiter, » Dieu est la justice même. De là Rome procède, et la loi que tu suis encore... » Ainsi c’est bien clair : voilà une Bible de l’humanité d’où le christianisme est banni comme un étranger. Moyennant cette solution où l’auteur voit le triomphe de la justice éternelle par « l’accord victorieux des deux sœurs, science et conscience, » toute ombre disparaît. Après cela, si la réalité ne ressemble pas au rêve, si le monde en est encore à ses vieilles iniquités, à ses vieux péchés, à ses souffrances et à ses troubles, M. Michelet vous proposera le souverain remède : « qui fit le Ramayana est quitte de ses péchés; » vous trouverez dans le Ramayana la pureté, l’apaisement, la jeunesse et la force. Franchement M. Michelet, dans sa sincérité bien évidente, a trop souvent de ces passions merveilleuses, de ces illuminations soudaines; trop souvent il s’écrie : « J’ai trouvé ce que je cherchais,., reçois-moi donc, grand poème !.. que j’y plonge!... c’est la mer de lait !... » Ce qui est assez vraisemblable, c’est qu’en l’année 1863, « année chère et bénie, » où pour la première fois il a pu lire le divin Ramayana, M. Michelet s’est trouvé, comme ce Vrihaspati représenté par l’art indien, assis sur un lotus, et qu’il s’y est endormi d’un sommeil plein de rêves éblouissans, gracieux et effrénés. Il s’est réveillé brahmane pour offrir son évangile à l’humanité moderne.