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l’énorme étendue des anciens glaciers de l’Europe. Il est en effet très naturel de penser qu’avant l’assèchement de cette mer intérieure, les masses d’air entraînées vers le nord se saturaient d’humidité en passant au-dessus des eaux, et, s’élevant peu à peu dans les régions supérieures, apportaient sans cesse aux cimes des Alpes de nouvelles couches de neige, au lieu de les fondre comme le fait actuellement le redoutable föhn, vent suréchauffé par la réverbération du sable brûlant d’Afrique. Il est possible d’ailleurs que les montagnes de la Suisse aient diminué d’élévation depuis la période glaciaire. La même oscillation du sol qui a vidé la méditerranée libyenne a peut-être aussi, par contre-coup, déprimé les fondemens des Alpes pour les rapprocher du niveau de l’océan.

Sur les bords de la Méditerranée, les indices qui peuvent faire croire à un soulèvement du sol se montrent en foule. Ainsi les plages de la Tunisie ne cessent d’empiéter sur les eaux de la mer. Les anciens ports se comblent[1], les baies s’oblitèrent, les pointes s’avancent de plus en plus, et ces phénomènes s’accomplissent avec assez de rapidité pour que le changement dans l’aspect des rivages ne puisse pas être attribué seulement à l’apport des sables marins : il faut y voir sans doute l’effet d’une poussée verticale semblable à celle qui souleva jadis le fond des mers du Sahara. De même la Sicile, que l’on pourrait comparer à une énorme boursouflure volcanique rattachée à Pantellaria et aux promontoires de la Tunisie par un isthme sous-marin, est constamment exhaussée par les forces à l’œuvre sous les couches de sa surface. Sur les hauteurs qui dominent la conque de Palerme, on remarque à 55 mètres d’élévation des grottes que la mer s’est creusées pendant la période des coquillages encore existans. Sur la côte orientale de l’île, M. Gemellaro a constaté un exhaussement récent de plus de 13 mètres. En Sardaigne, non loin de Cagliari, M. de La Marmora signale, comme se trouvant à la hauteur de 74 et même de 98 mètres, un dépôt soulevé qui renferme des restes de poterie mêlés à des coquillages modernes, et qui se trouvait par conséquent au niveau de la mer à une époque où l’homme habitait déjà la contrée. Enfin, pour compléter la revue des principaux faits de soulèvement qui ont eu lieu durant la période géologique actuelle autour du bassin occidental de la Méditerranée, il faut citer l’émergence d’une grande partie des îles Baléares et celle des anciennes grottes marines de Ventimille et de Menton, ainsi que l’exhaussement des bancs de coquillages découverts par M. Risso sur le cap de Saint-Hospice, à 12 mètres d’élévation. Ces faits, et d’autres encore, permettent de croire au

  1. M. Guérin, dans son Voyage archéologique à la Régence de Tunis, cite parmi les ports complètement ou presque entièrement mis à sec ceux de Carthage et d’Utique, de Mahédia, de Porto-Farina, de Bizerte, d’Hamman-Korbès, de Kelibia, de Kourba.