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d’imagination à travers les époques primitives de l’Inde, de la Perse, de l’Egypte, de la Grèce, en remuant toutes ces religions, ces traditions, ces mythologies, ces poésies, l’auteur de la Bible de l’humanité a laissé tomber de ces pages colorées et ingénieuses où se retrouve toujours le poète. M. Michelet ne serait plus lui-même, s’il cessait d’être cet esprit impressionnable et hardi qui s’émeut sans effort devant les grandes manifestations humaines, et qui en les contemplant est instantanément saisi du démon familier de l’inspiration. L’attrait était puissant, ici surtout : c’était la nouveauté de cet Orient lointain à peine connu, que la science de notre temps fait chaque jour sortir de son ombre profonde en découvrant le secret de ses langues, de ses religions. Il en aurait fallu bien moins pour fasciner M. Michelet. Le vieux monde décidément ne lui a plus suffi, il lui a paru étroit; la Grèce visiblement est trop petite, la Judée est sèche; il lui faut les sources primitives, les paysages grandioses de la Haute-Asie, les sommets sacrés d’où descendent le Gange et l’Indus ou les torrens de la Perse, et à ces torrens sacrés, à ces sources premières, il s’abreuve, selon son habitude, jusqu’à y puiser l’ivresse de l’imagination, jusqu’à oublier tout ce qui ne découle pas de ces régions profondes et merveilleuses de l’Orient. Ecartez cette fascination et ce voile du passé cependant : quelle est la pensée inspiratrice du nouveau commentateur des religions orientales? quel est donc ce livre qui s’appelle de ce nom orgueilleux de Bible de l’humanité? Ce n’est point évidemment un livre d’érudition, quoiqu’il soit né à l’ombre de la science moderne. L’auteur décline ingénument cette ambition, et les savans auraient, je pense, beaucoup à effacer, à rectifier ou à éclaircir dans les interprétations de M. Michelet, dans cet exposé tourbillonnant des mythes et des légendes de l’Inde, de la Perse ou de l’Egypte. Ce n’est point non plus un livre de philosophie : c’est le propre de ce talent tout d’intuition et de sentiment de se perdre dans les idées générales, dans le mouvement abstrait des grands systèmes philosophiques, de ne plus se reconnaître dès qu’il n’a plus une réalité sensible devant lui, des impressions et des instincts humains à faire mouvoir, à personnifier. Qu’est-ce donc, encore une fois? Cela est bien simple : c’est une œuvre de fantaisie comme toutes les œuvres de M. Michelet, comme l’Oiseau, comme l’Insecte, comme la Mer; c’est un livre de littérature sur les religions, et, considérée comme œuvre littéraire, la Bible de l’humanité, sans égaler les précédens poèmes de l’auteur, contient certainement encore de vives et éblouissantes peintures, de pénétrantes et fines analyses. Les magnificences de la poésie indienne, du grand Ramayana, sont ressaisies, expliquées et commentées avec l’effusion reconnaissante d’une intelligence qui se