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ception de quelques rêveurs attardés, tout le monde reconnaît l’impossibilité de monnayer le sol. Il faut assurer d’une manière indubitable la conversion constante des billets contre espèces. Cette règle ne rencontre guère personne qui la révoque en doute; mais on diffère beaucoup quant au mode suivant lequel il convient de l’appliquer. Les tentatives faites pour établir une mesure de proportion entre la réserve métallique et la circulation fiduciaire ont toutes échoué. On met sans cesse en avant, comme un principe acquis, qu’il suffit de conserver un encaisse métallique égal au tiers de la somme des billets émis; mais ce rapport du tiers s’est maintes fois montré inefficace, les crises provoquées par l’exubérance du signe monétaire ont fait chèrement payer le bénéfice insignifiant obtenu à l’aide d’une circulation imprudente.

Il ne suffit pas qu’en temps ordinaire l’échange des billets contre espèces s’opère sans embarras; il faut qu’il continue toujours, quelque menaçantes que soient les éventualités. Il ne suffit pas que la garantie offerte soit solide, il faut que les espèces ne manquent jamais. Ce n’est pas seulement l’intérêt du commerce qui se trouve engagé ici (et l’on sait combien il périclite quand des secousses violentes se produisent), c’est l’intérêt général dans l’acception la plus large du mot. Il s’agit de maintenir la rectitude de la mesure de la valeur et d’empêcher qu’une influence irrégulière ne s’exerce sur les prix. C’est à ce point de vue élevé que la question a été envisagée en Angleterre : tel est le véritable terrain du débat qui s’y est prolongé pendant un quart de siècle, et sur lequel on ne possède malheureusement en France que des notions insuffisantes.

Plus on émet de billets et moins on conserve d’espèces. Personne ne le conteste, puisque les novateurs les plus hardis s’arment de ce résultat, qu’ils présentent comme un avantage. Le dicton vulgaire a raison : le papier chasse le numéraire; mais si la confiance diminue, si le crédit se contracte, si les détenteurs du signe des échanges se présentent plus nombreux pour l’échanger contre le gage métallique, il faut bien, quelque lourd sacrifice que cela impose, faire revenir l’or; autrement le mécanisme fragile de la circulation fiduciaire ne tarderait point à se briser. « Le numéraire, dit Sismondi, est une voie publique, et celui qui, à l’aide d’une circulation en papier, l’emprunte pour l’exporter creuse sous cette voie publique un souterrain, dans lequel elle peut s’abîmer. » L’image est heureuse et juste : chaque émission de monnaie de papier enlève des supports au terrain solide de l’or et de l’argent; si on approche trop de la couche superficielle, tout risque de s’effondrer.

La quantité des moyens de circulation, qu’ils soient en or ou en papier, se met toujours en rapport avec les besoins du marché; c’est la qualité qui se détériore à mesure qu’on use plus largement