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d’une source, demain auprès d’une autre ; depuis qu’il a dit adieu à sa patrie, à la vieille terre des ancêtres, aux libres et fiers sommets qu’ont habités ses pères, aucun lieu ne lui a paru mériter qu’on s’y arrête ; aucune plaine, quelque fertile, aucune rive, quelque herbeuse et fraîche qu’elle soit, n’a pu fixer son inquiet et vagabond caprice. Nous avons ensuite rencontré l’émigrant déjà las de toujours errer, déjà désireux de s’assurer un lendemain et de fonder un établissement durable, de créer un lien entre sa vie qui s’écoule et les choses qui demeurent. Plus loin, dans une autre région, nous avons vu ce désir enfin réalisé. Les Kurdes ont retrouvé dans l’Haïmaneh comme une seconde patrie ; là, quoique leurs mœurs et leurs habitudes gardent encore bien des traces de ces longues années de courses et d’aventures qui ont suivi leur exode, quoique la vie, dans un pays de plaine, diffère nécessairement de ce qu’elle peut être dans les vallées et les gorges des hautes montagnes, ils se sont refait comme une image affaiblie de leur antique Kurdistan :

   ….. parvam Trojam, simulataque magnis
Pergama.

Il nous reste à étudier les Kurdes, sur cette terre qu’ils se sont à peu près appropriée, dans leurs rapports avec ces Turcs qui les entourent ici de toutes parts, dont les villages sont mêlés aux leurs, qui ont entre leurs mains toute l’autorité publique, et contre qui ils n’ont plus, pour protection et pour barrière, les escarpemens des ravins et les profondeurs de la forêt ; il nous reste à montrer comment, dans cette situation nouvelle et plus précaire, ils gardent une indépendance d’allures, ils déploient une énergie et une activité qui contrastent avec l’indolence turque, et qu’expliquent le sang qui coule dans leurs veines, les qualités supérieures de la race à laquelle ils appartiennent.

II.

Pendant les heures que je passai sous le toit ou sous la tente noire des Kurdes, plus d’une fois je m’amusai à me faire dicter par eux des séries de mots usuels que je tâchais de transcrire le plus exactement possible, tels que mon oreille les percevait. La grammaire comparée a depuis longtemps placé la langue kurde dans le groupe des langues iraniennes, parmi ces idiomes dont les formes les plus anciennes nous sont offertes par les livres attribués à Zoroastre et par les inscriptions cunéiformes des princes achéménides. Il m’eût été difficile de faire comprendre aux pâtres sau-