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heur. Ce prodigue converti se fait avare; l’humiliation des Granville les ayant rendus plus accessibles à la pitié, il trouve encore moyen de se réconcilier avec eux, et tire de son frère quelques secours qui le remettent à flot. La loterie, le jeu, tout lui réussit, et, comme les rudes leçons de la pauvreté lui ont appris à thésauriser, rien ne lui manque pour redevenir honnête homme ou à peu près. La mort seule l’arrête en si beau chemin ; elle le surprend marié en secret à une jeune Française qu’il a tirée d’une situation difficiles et dont la reconnaissance dévouée adoucit ses dernières heures.

Le mariage de Clara Norris, formé sous de tristes auspices, lui donne moins de bonheur qu’elle n’en attendait. Walter Granville, pour qui elle se prend d’une affection assez sincère, ne tarde pas, revenu de sa première ivresse, à comprendre l’ignominie d’une pareille union. Dégoûté de lui-même et des autres, n’ayant pour cuirasse contre le mépris qu’une impudeur affectée, il retombe dans les déplorables habitudes qu’il avait contractées pendant ses croisières, et quand la créature avilie dont il a fait sa femme veut l’arracher par ses reproches à un train de vie aussi funeste, elle éveille en lui des colères fiévreuses qui semblent le pousser de jour en jour aux extrémités les plus redoutables. Il comprend du reste à quel dénoûment tragique aboutirait inévitablement une situation pareille, et après une scène violente où il l’a laissée à moitié morte, il quitte sa femme pour se rembarquer, en lui promettant qu’elle sera bientôt veuve. La nouvelle de sa mort arrive en effet quelques semaines plus tard, et porte le coup suprême à la raison ébranlée de son malheureux père. Le moment est venu pour Clara Norris, — maintenant affranchie et vengée, — de couronner tant d’habiles manœuvres par une retraite opportune. Aussi retourne-t-elle dans le New-Jersey pour achever paisiblement sa vie au sein d’une famille qu’elle a comblée de bienfaits. — Manhattan, qui moralise au besoin, tire de là cette conclusion remarquable : « elle fut heureuse, elle fut sauvée de par cette unique vertu, l’attachement qu’elle avait gardé pour tous ses proches. Elle y trouva la rédemption partielle de ses fautes, qui étaient grandes, et la récompense de sa bonté. » Voilà ce qu’on peut appeler de l’indulgence pratique.

Pendant que ces destinées diverses suivaient ainsi leur cours, que devenait Marion Monck, le héros de ce roman biographique? Échappa-t-il réellement à toutes les tentations qui doivent assiéger un très jeune homme réduit plusieurs années de suite à se créer des ressources quotidiennes dans une ville comme New-York? Il le dit, et il faut l’en croire sur parole. Toutefois, parmi les expédions variés auxquels il demanda son pain de chaque jour alors que lui manquaient, il l’avoue, les bénéfices d’une profession régulière, il en est qui répugnent à nos idées de parfaite délicatesse, et si l’on