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déshabillé blanc, prenant soin de « rouler la pauvre chemise ensanglantée » et de « serrer ce linge entre la vieille toile à papier et la muraille. » Puis, le bourreau arrivé, elle est prête à marcher à la mort, non plus même avec l’appareil de la royauté comme Louis XVI, mais comme une condamnée ordinaire, sur une charrette, au milieu d’une foule dont la fureur stupide résume toutes les haines sous lesquelles s’affaisse cette grande victime. Savez-vous le dernier mot ? C’est ce compte tracé le soir par un fonctionnaire du temps fort occupé : « La ve Capet, pour la bière, 6 livres ; — pour la fosse et les fossoyeurs, 25 livres ! »

Il y a bien des drames poignans dans l’histoire ; je ne sais s’il en est aucun qui égale cette destinée d’une reine arrivant en France brillante de jeunesse et de grâce, séduisante d’esprit et de courage, aimable et cordiale dans sa fierté, honnête sur le trône après les turpitudes des derniers règnes, et marchant sans le savoir ou sans pouvoir s’y soustraire à cette misérable fin. De toutes les accusations dont la révolution a chargé la tête de Marie-Antoinette, il n’en est aucune qu’elle justifie bien sérieusement, ou du moins ce qu’elle a fait tient à toute une situation encore plus qu’à une erreur volontaire de son âme où de son intelligence. Sa faute, c’est d’être la reine, de porter le poids de tout un passé. C’est son plus grand, son unique crime, et pour mieux briser la reine on dégrade, on brise la femme ; on va jusqu’à faire la plus inique violence à l’humanité elle-même, car si on peut trouver des excuses pour bien des choses dans la révolution, donner des explications de tout, rien ne peut absoudre cette atrocité sanguinaire qui immole les femmes, qui tue Mme Roland jusque dans le camp révolutionnaire, comme elle tue Marie-Antoinette dans le camp royaliste. Tout ce que la reine pouvait trouver en elle-même de force et de grâce pour se défendre, elle l’a eu ; elle est morte des diffamations de cour qui l’ont ruinée moralement et de la haine populaire qui l’a rencontrée sur son chemin. C’est ce qui fait de Marie-Antoinette la proie illustre d’une des plus tragiques fatalités, et par une combinaison singulière cette iniquité même est à sa manière le témoignage le plus inattendu de la puissance des choses. Il a fallu, convenez-en, que l’ancien régime fût bien gangrené, bien condamné pour ne trouver dans toutes les qualités de cette reine qu’un nouveau moyen de suicide ; il a fallu aussi que la révolution française fût cent fois, mille fois légitime et nécessaire pour que l’œuvre tout entière n’ait pas péri dans ce sang des victimes où plongent ses fondemens.


CH. DE MAZADE.