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La générosité juvénile de Marion Monck n’est point refroidie par cette franchise à outrance. Non-seulement il habille de pied en cap, séance tenante, le joueur malheureux, mais dès le lendemain il s’occupe de lui procurer du travail. Une belle personne dont nous connaissons déjà la position équivoque l’a précisément chargé de lui trouver un maître de langues. On dirait qu’elle pressent une destinée vagabonde et des relations cosmopolites. La jalousie de Nordheim, ordinairement plus scrupuleuse, tolère cet arrangement, qu’il complète et rend plus acceptable en plaçant Falsechinski comme traducteur parmi les employés de la maison Pitt Granville. Une fois le pied à l’étrier, le banni, que la faim ne met plus à la merci du premier venu, va profiter des circonstances favorables avec cet aplomb, cette dextérité qui commandent le succès. S’il consent à jouer pour le compte d’autrui, ne craignons pas qu’il laisse son partner, son bailleur de fonds, régler selon sa fantaisie la quotité de gains qui doit lui être attribuée. Son partner cette fois, c’est Thomas Granville, et, avec une centaine de dollars que ce prodigue aux abois trouve moyen d’emprunter, l’habile ponte, assis à une banque de faro, réalise quarante fois cette somme. Mais tandis que Tom Granville, épris maintenant de Clara Norris, accepte comme un niais la proposition qu’elle lui fait de prendre en dépôt les deux mille dollars qui lui tombent ainsi du ciel, Falsechinski, mieux avisé, place ses fonds chez de vieux banquiers, spéculateurs émérites, dont il travaille à capter la confiance. Et comme un titre, fût-il de mauvais aloi, a toujours son prestige chez les compatriotes de Washington, MM. Prime, Ward et C° s’engouent bientôt de leur nouveau client. Celui-ci, certain de savoir par eux de quel côté le vent souffle, leur remet presque aveuglément le soin de faire fructifier ses modestes épargnes. Grâce à leurs conseils, exactement suivis, il entre à propos dans ces opérations de terrains qui ont fait et défait à New-York tant de fortunes énormes; il y renonce de même, gorgé de primes, quand elles vont devenir périlleuses. À ce moment, c’est-à-dire après un laps de quelques années, Falsechinski, toujours employé chez Pitt Granville, est, sans qu’on le sache, à la tête d’une véritable fortune. Le sort, qui persiste à le favoriser, et son adresse, qui vient en aide au sort, lui rendent à cette époque, par l’entremise du chargé d’affaires russe, les droits civils et les vastes domaines dont le tsar l’avait autrefois dépouillé. Il a guetté ce moment, cette occasion favorable, et, secondé par ses banquiers, qui s’enorgueillissent alors d’être ses amis, il sollicite, il obtient la main de miss Irène Grasper, cette opulente héritière pour qui Mac-Neil avait dressé jadis, mais inutilement, ses pièges les mieux combinés.

« Ainsi va le monde! » s’écrie Manhattan, qui place judicieuse-