Les choses en sont à ce point, lorsque M. Nordheim rencontre enfin le châtiment dû à ses nombreux méfaits. Pendant une représentation au théâtre italien de New-York, qui le compte parmi ses principaux commanditaires et ses habitués les plus fidèles, assis derrière une inconnue dont la beauté l’a frappé, il provoque chez elle, par ses attentions trop marquées, une colère, un effroi dont elle ne peut contenir les manifestations. Le frère de cette jeune femme, à qui elle se voit forcée de signaler leur insolent voisin, le frappe violemment au visage ; du coup se trouvent brisées les lunettes d’or que portait Nordheim, et quelques éclats de verre pénétrant jusque dans le voisinage du cerveau y déterminent les plus graves désordres. Après plusieurs jours de fièvre et de délire, ce misérable expie par une mort précoce toutes les infortunes, toutes les hontes qui ont servi d’aliment à ses instincts de corruption. Il meurt, reconnaissant la justice du châtiment providentiel, et, pour compenser autant qu’il est en lui les torts de sa vie conjugale, léguant à Bessy tout ce qui lui reste de fortune. Dans la première émotion de ce moment solennel, Pitt Granville autorise en outre la veuve de son ancien associé à choisir elle-même celui qui prendra la place du défunt dans la puissante maison de commerce.
Si ce jeune écervelé de Marion avait su déchiffrer plus tôt l’espèce d’énigme que livrait à sa pénétration l’attachement ambigu de mistress Nordheim, s’il n’avait pas préféré à l’amitié dévouée dont elle l’entourait les séductions périlleuses d’une coquetterie banale, l’occasion serait magnifique pour lui, et une direction définitive serait imprimée à sa carrière; mais au moment où Bessy, maîtresse d’elle-même, songe à lui consacrer sa vie, elle apprend, à n’en pouvoir douter, qu’il existe entre Isa et lui des engagemens formels, une correspondance intime, des relations enfin qui supposent un amour réciproque. D’abord atterrée, elle réagit ensuite contre ce penchant impérieux qui vient de se révéler en elle et dont la domination l’effraie. Marion voit succéder à la confiance qu’elle lui témoignait une contrainte, une réserve dont il n’aura le secret que le jour où Bessy se croira suffisamment guérie pour se donner à un honnête homme beaucoup plus âgé qu’elle, mais dont elle a su comprendre et apprécier le caractère solide, la raison supérieure et le modeste dévouement. C’est sur le caissier Wilson, abasourdi tout le premier d’une pareille bonne fortune, que s’arrête le choix définitif de l’opulente et belle veuve; c’est lui qu’elle investit, en lui donnant sa main, de la part sociale dont elle dispose.
Reste pour Marion une épreuve cruelle. Averti par de vagues rumeurs et par quelques symptômes significatifs que le mariage d’Isabella Granville et de Middleton Benson pourrait bien être une affaire conclue entre leurs parens, il comprend que le mystère n’est