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à sa fortune. Elle a bien juste le linge qui lui est nécessaire, une robe noire et une robe blanche, deux bonnets qui coûtent sept livres, suivant le compte de ses dépenses. Celle qui fut la reine de France a des vêtemens déchirés qu’elle ne peut pas même raccommoder ; on lui refuse des aiguilles, et, pour se distraire par momens, elle est réduite à arracher des fils d’une vieille toile de tenture dont elle fait de petits ouvrages. Il lui reste de sa vie d’autrefois une montre qu’elle a emportée d’Allemagne et qui lui rappelle sa jeunesse : on la lui prend. Et pourtant autour de cette prison la reine sent encore se remuer de ces dévouemens inconnus qui lui arrachaient des larmes avant qu’elle n’eût quitté les Tuileries. Il y a des complots d’évasion audacieusement ourdis par les Batz, les Toulan, les Rougeville, qui réussissent à arriver jusqu’à elle, à ranimer dans son âme une fugitive espérance. Tout est inutile. La reine trouve même presque des complices dans quelques-uns de ces commissaires de la commune qui ne peuvent se défendre de la pitié, dans ces geôliers qui s’attendrissent ; mais si ces cœurs faibles laissent voir leur attendrissement, ils sont éloignés aussitôt, ils sont perdus, et quelques-uns expient par le supplice le tort d’avoir senti se remuer en eux quelque chose d’humain. La dernière consolation de Marie-Antoinette lui vient d’une jeune fille, une servante du geôlier, qui a pour elle des attentions muettes, qui satisfait ses goûts de propreté, qui va jusqu’à glisser sur sa table quelques fleurs, et à cette jeune fille elle ne peut donner qu’une monture de laiton et un petit objet de toilette : elle n’a plus rien. Le jour du procès, au captieux interrogatoire dans lequel on cherche à la prendre, elle répond avec une nette intelligence et une dignité calme. Il n’y a qu’un instant où elle se révolte, c’est lorsqu’on a l’odieuse indignité de l’accuser de tentatives de dépravation sur son fils. Alors, sans descendre à répondre, la mère se soulève, en appelant à toutes les mères.

Quand tout est fini, à quatre heures du matin, rentrée dans son cachot, elle écrit à Mme Elisabeth cette belle lettre : « C’est à vous, ma sœur, que j’écris pour la dernière fois ; je viens d’être condamnée, non pas à une mort honteuse, elle ne l’est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère… » Et elle attend. Une dernière humiliation lui était réservée. Avant l’arrivée du bourreau, perdant son sang, suivant le récit de la jeune servante de la prison, elle veut changer de linge et se dissimule le plus qu’elle peut dans la ruelle. Le gendarme se précipite aussitôt pour ne pas la perdre de vue. « Au nom de l’honnêteté, monsieur, lui dit-elle, permettez que je change de linge sans témoin. » Mais le gendarme n’y consent pas, et la malheureuse femme, suppliciée jusque dans sa pudeur, revêt comme elle peut sa dernière chemise avec un